Elle a prêté avec grand talent sa voix à Catherine Deneuve pour les chansons des Demoiselles de Rochefort et de Peau d’âne, interprété le générique de L’île aux enfants, fait partie des Swingle Singers (lauréats de plusieurs Grammy Awards), accompagné les plus grand artistes sur scène et en studio (Léo Ferré, Barbara, Charles Trénet, etc.). En plus d’être l’une des plus belles voix de ce métier, Anne Germain en est également par sa culture et sa mémoire un témoin passionné et passionnant. Rare en interview, elle a accepté de répondre à mes questions et de nous offrir ainsi ce bel entretien.
Série d’entretiens réalisés entre le 16/02 et le 27/03/14.
Remerciements à mes fidèles amis et « partenaires de recherches » Gilles Hané, Greg Philip (blog Film Perdu), François Justamand (La Gazette du Doublage), Jean Letellier (Radio Enghien), Serge Elhaïk (France Musique) et Alaric Perrolier pour nos échanges d’informations, photos, disques, vidéos, etc.
Dans l’ombre des studios : Anne Germain, vous êtes née à Paris au printemps...
Pour paraphraser Céline dans Mort à crédit, « Je suis née en avril, c’est moi l’printemps » !
DLODS : Etes-vous issue d’une famille d’artistes ?
Pas de professionnels en tout cas. Papa n’était pas musicien. Maman, ses frères et sœurs avaient le goût et le sens du chant ; mon grand-père maternel avait une voix splendide, les gens venaient des villages éloignés pour l’écouter lorsqu’il chantait à la messe dans leur village d’Auvergne. Malheureusement, aucun d’eux n’a pu suivre d’études musicales.
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Raymond Asso |
DLODS : Vos parents écoutaient quels styles de musique ?
C’était surtout maman qui chantait des mélodies anciennes ou des airs d’opérettes : La veuve joyeuse, Le pays du sourire et autres. Le chant c’était un besoin vital mais ils n’avaient guère de loisirs pour écouter de la musique, trop cloués par le travail. Après la guerre nous avons eu enfin un tourne- disque. Avec mon grand frère qui était un fou de musique nous écoutions de tout. Une amie pianiste qui venait de Lyon prendre des cours avec de grands maîtres répétait chez nous et nous étions gorgés de fugues de Bach et d’études de Chopin ou Debussy.
Pendant la guerre, l’hôtel a été réquisitionné par l’armée allemande puis après sont venus les Américains : parmi les soldats certains étaient musiciens et avaient avec eux des petits albums de musique de variété jazzy. Quand ils ont entendu le piano ils ont demandé à maman la permission de l’utiliser. Ils nous ont fait découvrir « In the mood », « Chattanooga choo choo » et autres « Moonlight Serenade ». Mon frère et notre amie pianiste déchiffraient ces partitions.
Mon frère a ensuite fait une récolte de tous les disques 78 tours que l’on trouvait alors. Nous écoutions Duke Ellington, Fats Waller dont je « reproduisais » les morceaux d’oreille et aussi Dinu Lupatti ou Walter Gieseking pour le classique, en chant c’était Catherine Sauvage, les chansons de Prévert et Kosma, Piaf aussi bien que Victoria de los Angeles, Mouloudji et Mario Lanza ! Nous avons aussi découvert les groupes vocaux américains à cette époque. Mon frère et des copains de collège avaient formé un petit groupe vocal dès ce temps-là qui chantait alors des chansons traditionnelles françaises.
Glenn Miller : In the mood (1939)
DLODS : Comment s’appelait ce groupe ?
Un groupe vocal allemand d’avant-guerre qui reproduisait des instruments de musique dans certains titres les avait marqués : les Comedian Harmonists. Il y avait aussi Ray Ventura et ses Collégiens, ils se sont donc nommés les « Collégiens Harmonistes ». A la Libération il y a eu une explosion de nouveaux artistes, c’est l’époque de La Rose Rouge, du Lorientais, du Tabou, et autres caves. Mon frère et ses copains ont découvert Léo Ferré inconnu qui chantait chez Francis Claude au Quod-Libet, une cave rue du Pré-aux-Clercs, ces collégiens ont sympathisé avec eux, Ferré leur a confié quelques partitions et le groupe à commencer à les ajouter à leur répertoire. Certaines co-écrites avec Francis Claude sont hélas oubliées aujourd’hui : il y en a qui conviendraient bien à Bernard Lavilliers : « Regardez-les défiler », « Les métros vont, les métros viennent », « La Chambre », « La vie d’artiste », etc. Francis Claude a ensuite ouvert une autre « boîte » au Palais Royal, Le Milord l’Arsouille, où les garçons venaient chanter quand ils voulaient en « copains ». Ont débuté là Serge Gainsbourg –je ne me doutais pas qu’un jour je travaillerais pour lui en soliste pour son film Cannabis-, Claire Leclerc que j’ai retrouvée des années après dans les studios avec les Angels ou les Barclay, et Michèle Arnaud.
DLODS : Comment avez-vous intégré le groupe de votre frère ?
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The Mills Brothers |
DLODS : Est-ce à cette époque que vous avez connu votre mari, le regretté compositeur, pianiste et chanteur Claude Germain ?
Un peu après, à dix-sept ans et demi, par un voisin qui était son ami depuis l’Ecole Supérieur de Musique. Claude quand je l‘ai connu était alors un pianiste et un musicien confirmé : harmonie, etc. Il était dans cette école avec le frère de cet ami qui fut le pianiste de Fernand Raynaud, et aussi Maurice Vander, le célèbre pianiste de jazz accompagnateur de Claude Nougaro, etc. Une pépinière de futurs musiciens de studios !
Quand j’ai connu mon mari, je chantais déjà tout ce que j’aimais sans me préoccuper si c’était mauvais pour ma voix. Les standards américains : Sarah Vaughan, Doris Day mon idole… Je chantais en m’accompagnant au piano avec les harmonies d’oreille. Un jour bien plus tard j’ai esquissé quelques notes en studio sur un super Steinway me croyant toute seule. Michel Legrand est sorti de la cabine à ce moment-là et m’a juste dit « Mais Anne, il faut travailler avec Nadia Boulanger ! » (sa grande prof et LA grande prof du Conservatoire). Bref, ce n’était pas mon destin sans doute !
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Claude Germain |
Anne Germain & The Trombone Paraders : Small Hotel (1958)
Tout premier enregistrement d'Anne Germain pour un disque, Jazz à la Fiesta restauré récemment par la BNF
DLODS : Nous n’avons pas parlé de votre formation. Vous avez eu comme professeur de chant une grande cantatrice, Ninon Vallin…
Oui elle m’a fait travailler quelques temps après la mort de mon premier prof mais ce n’était pas un bon professeur pour une débutante comme moi. Barbara Hendricks disait cela de l’immense Maria Callas, qu’elle n’était pas une bonne enseignante. C’est souvent le cas de très grands interprètes qui ne savent pas former les autres. Je devais présenter le concours d’entrée au Conservatoire et avais déjà auditionné devant un des profs qui suite à l’audition me voulait déjà dans sa classe. L’audition avait eu lieu au conservatoire devant ses élèves mais ma prof est morte et le choc m’a tellement cassée que je me suis sentie incapable de me préparer toute seule : trop peu entraînée encore. Quelques mois après, c’était la mort de maman !
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Ninon Vallin |
DLODS : Comment de chanteuse d’orchestre êtes-vous devenue choriste dans la variété ?
Par des camarades musiciens entrés avant moi dans ce circuit et qui m’ont introduite dans ce cercle très fermé des musiciens de studio appelés les « requins » d’ailleurs, c’est dire ! Il y avait déjà quelques groupes vocaux à peu près constitués comme les « Blue Stars » dans le style des groupes vocaux américains très à la mode dans les années 56, 57, etc. Il commençait aussi à y avoir beaucoup de séances d’enregistrement, ça a décuplé encore avec l’arrivée des yéyés. Merci à eux car de ce fait il y a eu beaucoup de travail. Les jeunes arrangeurs comme Michel Legrand avaient besoin de gens qui lisent très bien la musique, qui chantent juste mais surtout pas de voix lyriques. J’ai ainsi travaillé avec les meilleurs de ce métier, les Christiane Legrand, Janine de Waleyne, Mimi Perrin, Ward Swingle, Jean-Claude Briodin, etc. Quand Mimi a eu l’idée des « Double Six » elle a demandé à mon mari Claude d’intégrer le groupe après des essais non concluants avec d’autres, puis il y a eu les prestigieux « Swingle Singers ». Ces deux groupes ont obtenu les plus glorieuses récompenses, surtout aux Etats-Unis. Après l’orchestre j’étais dans la cour des grands ! Mais j’aimais quand même bien chanter en orchestre.
Pour lire la suite de l'entretien, vous pouvez cliquer ici.
(Plan: Partie 1: enfance, formation, chanteuse d'orchestre; Partie 2: choeurs pour des chanteurs de variété; Partie 3: enregistrements solistes; Partie 4: groupes vocaux; Partie 5: musiques de films; Partie 6: doublage, compositions)
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