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Décès de Louis Aldebert, ancien membre des Double Six

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Une très triste nouvelle pour tous les passionnés de groupes vocaux: Louis Aldebert, membre fondateur des Double Six, nous a quittés vendredi 10 octobre à Los Angeles des suites d'une longue maladie.

Louis naît le 8 juin 1931 à Ismailia (Egypte), son père travaille alors à la Compagnie du Canal de Suez. En France, il découvre les clubs de jazz de Saint-Germain-des-Prés, et se lie d'amitié avec de nombreux jazzmen ainsi qu'avec les premières équipes de choristes "modernes" (Mimi Perrin, Jean-Claude Briodin, Jacques Hendrix, Ward Swingle, etc.).



Les Double Six : Tickle Toe (Jazz à Juan-les-Pins, 1964)
Solistes Louis Aldebert et Claudine Meunier
(avec également Monique Aldebert, Mimi Perrin, Bob Smart et Jean-Claude Briodin)



Bill Coleman et Louis Aldebert (1967)
Lancé dans le monde des studios d'enregistrement parisiens, Louis Aldebert accompagne bon nombre de chanteurs parmi lesquels Gilbert Bécaud, John William, Francis Lemarque, Henri Salvador. En 1959, il fait partie des fondateurs du groupe de jazz vocal Les Double Six, formation aussi brève que novatrice et extraordinaire. A ses côtés chez les Double Six, sous l'oeil du jeune directeur artistique Quincy Jones, Monique Guerin qui devient son épouse et avec qui il enregistre des chansons en duo sous le nom de "Monique & Aldebert", et compose des chansons pour Brigitte Bardot, Mouloudji, Jean-Claude Pascal, Régine, Danielle Darrieux, etc.


Monique & Aldebert: La Grande Cymbale (1963)


En soliste, on peut entendre chanter Louis dans Vivre pour vivre (1967) de Claude Lelouch, musique de Francis Lai, également sur une petite réplique des Demoiselles de Rochefort (1967). Il enregistre aussi plusieurs chansons Disney pour des livres-disques, seul ou avec Monique, sans que leur nom soit une seule fois mentionné sur les pochettes de disques. C'est grâce à mon amie Anne Germain et à sa formidable mémoire des voix que j'ai pu enfin en 2010 les "identifier" dans plusieurs titres parmi lesquels "L'amour c'est le refrain" (Bambi) et "Bella Notte" (La Belle et le Clochard).


Louis et Monique Aldebert: L'amour c'est le refrain


Dunes Hotel, Las Vegas, 1969
B. Arcadio, M. Aldebert, F. Ciccoli et L. Aldebert
En 1969, le couple est engagé avec deux autres chanteurs pour faire partie de la revue menée par Line Renaud au Dunes Hotel de Las Vegas. Tombés amoureux des Etats-Unis, Louis et Monique s'installent à Los Angeles. "The Aldeberts", leur nouveau nom de scène, enregistrent, composent et arrangent, jouent dans des clubs de jazz californiens, accompagnent quelques artistes comme choristes. Malgré une reconnaissance critique et le plaisir de côtoyer de grands musiciens américains, cette seconde partie de carrière sera assez difficile...

En 2005, Monique Aldebert a publié aux éditions Mémoires d'Oc ses souvenirs, De la musique avant toute chose. Je pense bien évidemment fort à elle et à sa famille.


Louis Aldebert : Il y eut le jour, il y eut la nuit (1967)
(Choristes: Bernard Houdy, Vincent Munro, Françoise Walle, Christiane Cour)



Remerciements à Jean-Claude Briodin.


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La semaine prochaine...

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Trois spectacles à ne pas rater la semaine prochaine:

-Mon manège à moi: mes 400 coups, spectacle drôle et émouvant de François Constantin, "bête de scène", percussionniste et chanteur de grand talent. François rend hommage à son père Jean Constantin, grand auteur-compositeur-interprète ("Mon manège à moi" pour Edith Piaf, "Ma gigolette" pour Yves Montand, "Mon truc en plume" pour Zizi Jeanmaire) à l'univers comico-poétique, rythmiquement inspiré par les musiques d'Amérique du Sud, dont il fut avec Henri Salvador l'un des premiers "importateurs" en France.
Cette représentation du mardi 21 octobre à 20h au Théâtre l'Européen à Paris (avant une série au Théâtre des Déchargeurs) est exceptionnelle car la famille Constantin sera réunie au grand complet sur scène pour interpréter une ou plusieurs chansons: Lucie Dolène (merveilleuse voix française de Blanche-Neige en 1962, voix de Madame Samovar dans La Belle et la Bête), Olivier Constantin (voix de Jack dans L'étrange Noël de Monsieur Jack, voix chantée du Prince dans le redoublage de La Belle au Bois dormant), Virginia Constantine (superbe chanteuse de jazz), etc.
Infos et réservations: 
http://www.leuropeen.info/index.php?wh=programme&evt=717#717


-Après quelques mois d'absence, les soirées "Dans l'ombre des studios" reprennent à L'Auguste Théâtre. Vendredi 24 octobre à 21h, les comédiens-chanteurs Michel Mella et Barbara Tissier (deux grandes voix du doublage), accompagnés au piano et au chant par Patrick Vilbert, présentent une nouvelle version de Mella-Pression!, avec de nouvelles chansons, sans sucre ajouté.
Infos:
http://augustetheatre.com/mella-pression
Réservations au 01.48.78.06.68 ou augustetheatre@gmail.com (tarif à 12€ au lieu de 16€ en donnant le mot de passe "Dans l'ombre des studios")


-Il ne reste plus que quelques représentations pour applaudir Denis Laustriat dans Sugar au Vingtième Théâtre. Voix française d'Orlando Bloom (Le seigneur des anneaux, Pirates des Caraïbes), Mark-Paul Gosselaar (New York Police Blues) ou encore George Eads (Les Experts), Denis est un comédien d'une rare subtilité...
Réservations:
http://www.billetreduc.com/117345/evt.htm



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11ème Salon des Séries et du Doublage (samedi 22 novembre 2014)

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Voici le programme du prochain Salon des Séries et du Doublage. J'aurai le plaisir d'y animer la rencontre "Doublage de Papa Schultz / Hommage à Philippe Dumat"à 16h.


Le Salon des Séries et du Doublage  fait cette année sa 11èmeédition !

Samedi 22 novembre 2014 à la Maison des Mines (Paris Vème), les fans clubs (Friends, Les Mystères de l’Ouest, Star Trek, etc.) se réuniront en nombre pour présenter sur leurs stands ou lors de rencontres conviviales leurs séries préférées au grand public.

Série française à succès, Scènes de ménages sera représentée par les comédiens Gérard Hernandez (Raymond), Marion Game (Huguette) et Frédéric Bouraly (José).
Les héros mythiques du roman policier anglais seront à l’honneur dans deux rencontres : une  autour des adaptations cinématographiques et télévisées de l’œuvre d’Agatha Christie en France (en présence du réalisateur Pascal Thomas et de l’équipe des Petits Meurtres d’Agatha Christie), et une sur le doublage des séries Hercule Poirot et Sherlock.
Les fans de superhéros ne seront pas oubliés avec une rencontre sur le doublage des  films de la saga X-Men.
Deux hommages seront rendus : l’un à Louis de Funès par plusieurs membres de la distribution des Fantômas et des Gendarmes, l’autre au « pape » du doublage Philippe Dumat en compagnie des voix françaises de la série Papa Schultz et de plusieurs invités-surprises.


INFOS PRATIQUES :

Lieu : Maison des mines, 270 rue Saint-Jacques, 75005 Paris
Accès : RER Luxembourg ou Port-Royal, lignes de bus 21, 27 (arrêt Feuillantines) et 38 (arrêt Val de Grâce)
Horaires d’ouverture :Samedi 22 novembre 2014, de 10h à 18h
Prix : 3€ par débat
Renseignements : 06 33 69 35 45 ou www.serialement-votre.fr

  
PROGRAMME DES DEBATS :

-Louis de Funès: du Gendarme à Fantômas (11h-12h30) avec Patrick Préjean (Maréchal des logis Perlin dans Le Gendarme et les Gendarmettes), Nicaise Jean-Louis (Yo Macumba dans Le Gendarme et les Gendarmettes) et Jean-Jacques Jelot-Blanc (biographe de Louis de Funès)

-Doublage : Quand Poirot rencontre Sherlock (11h-12h30) avec les comédiens Philippe Ariotti (nouvelle voix de Poirot dans la série Hercule Poirot), Jean Roche (voix du Capitaine Hastings dans la série Hercule Poirot), Gilles Morvan (voix de Sherlock dans la série Sherlock), Yann Peira (voix de Watson dans la série Sherlock), Cédric Dumond (voix de Moriarty dans la série Sherlock), Laurence Crouzet (voix d’Irene Adler dans la série Sherlock), Julia Roche (adaptatrice des dialogues de la série Hercule Poirot) et Philippe Lebeau (adaptateur des dialogues de la série Sherlock)

- Agatha Christie’s Reboot (14h-15h30) avec Pascal Thomas (réalisateur de Mon petit doigt m’a dit…), Serge Dubois (Brigadier-chef Ménard dans Les Petits Meurtres d’Agatha Christie), Sylvie Simon (scénariste des Petits Meurtres d’Agatha Christie) et Delphine Cingal (maître de conférence à la Sorbonne, littérature policière anglo-saxonne) 

- Doublage : LesX-Men au cinéma (14h-15h30) avec Joël Zaffarano (voix de Wolverine), Juliette Degenne (voix du Dr Jean Grey), Géraldine Asselin (voix de Tornade), Constantin Pappas (voix du Dr Bolivar Trask), Victor Naudet (voix de Vif-Argent) et Joël Savdié (adaptateur des dialogues)

- Scènes de ménages, une série contemporaine ? (16h-17h30) avec les comédiens Gérard Hernandez (Raymond), Marion Game (Huguette) et Frédéric Bouraly (José)

- « Che n’ai rrrien fu, rrrien entendu » : Doublage de Papa Schultz et hommage à Philippe Dumat (16h-17h30)avec Patrick Floersheim (voix du Colonel Hogan), Régis Ivanov (voix de Kinch), Roger Lumont (voix du Général Burkhalter et du Major Hochstetter), Michel Mella (voix de Newkirk), Michel Muller (voix de LeBeau), Odile Schmitt (voix de Hilda) et plusieurs invités-surprises.


-Invités présents sous réserve. Accès aux rencontres dans la limite des places disponibles.
-Chaque rencontre sera suivie d’une séance de dédicaces d’une vingtaine de minutes.

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Dans l'ombre des studios fait son Mélodie Cocktail (lundi 16 mars 2015, 21h)

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M. Serradell / M. Prud'homme / M. Elias / J. Ciron
Lundi 16 mars 2015 à 21h, Dans l'ombre des studios fait son Mélodie Cocktail à L'Auguste Théâtre (Paris 11ème)! 

J'ai le plaisir d'organiser et de présenter une grande soirée hommage aux voix des doublages Disney.

Accompagnés au piano par Mathieu Serradell, une vingtaine d'artistes (voix françaises des films et jeunes talents de la comédie musicale) de 24 à 86 ans réunis dans l'un des plus petits théâtres parisiens (90 places) pour une soirée supercalifragilisticexpialidocious! 

Avec la participation amicale de 
Michel BAROUILLE (voix du crooner dans "Mélodie Cocktail"), 
Mathieu BECQUERELLE ("Sister Act", Th. Mogador), 
Quentin BRUNO (The Voice 2015), 
Jacques CIRON (voix du Chapelier Toqué dans "Alice au pays des merveilles"), 
Paolo DOMINGO (voix d'Aladdin dans "Aladdin"), 
Michel ELIAS (voix de Pumbaa dans "Le Roi Lion"), 
José GERMAIN (voix de Scat Cat dans "Les Aristochats"), 
Vincent GILLIERON ("Alice, la comédie musicale", Vingtième Th.), 
Bénédicte LECROART (voix de Belle dans "La Belle et la Bête"), 
MATHILDE (The Voice 2015), 
Michel MELLA (voix de La Rocaille dans "Le Bossu de Notre Dame"), 
Julien MIOR ("La Belle et la Bête", Th. Mogador), 
Candice PARISE (Dorothy dans "Le Magicien d'Oz", Palais des Congrès), 
Rachel PIGNOT (voix chantée de Blanche Neige dans "Blanche Neige et les sept nains"), 
Michel PRUD'HOMME (voix de Zazu dans "Le Roi Lion"), 
Marie RUGGERI (voix de Peg dans "La Belle et le Clochard"), 
Priscillia SHILLINGFORD, 
Lauren TAYLOR BERKMAN ("Island Song", Comédie Nation), 
Lauren VAN KEMPEN ("The King and I", Th. du Châtelet) 
et quelques surprises. 

Soirée organisée et présentée par Rémi CAREMEL (Dans l'ombre des studios) 
Direction musicale, arrangements, piano: Mathieu SERRADELL 

Ce spectacle est programmé dans le cadre des soirées « Dans l'ombre des studios ». 

Lundi 16 mars 2015 à 21h 
L'Auguste Théâtre 
6 impasse Lamier 
75011 Paris (Métro Philippe-Auguste) 

Durée: 1h40 
Tarif plein : 18 € 
Tarif réduit (sur justificatif): 15 € (- de 18 ans, étudiants, habitants du XIème, demandeurs d'emploi, intermittents du spectacle) 

Réservation indispensable au 01.48.78.06.68 ou augustetheatre@gmail.com (nombre de places très limité)





Bande-annonce du spectacle
(Réalisée par Greg Philip (blog Film Perdu). Remerciements à Roger Carel, parrain de "Dans l'ombre des studios")


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1er Printemps des Séries et du Doublage (11 avril 2015)

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Organisatrice du « Salon des Séries et du Doublage » (dont la 12ème édition aura lieu en novembre 2015), Sérialement Vôtre a le plaisir de vous présenter pour la première fois le « Printemps des Séries et du Doublage ». 

Deux rencontres avec des artistes exceptionnels, sur la scène de L’Auguste Théâtre :

11h-12h30 : « Les grandes voix du doublage » avec les comédiens Marc Cassot (vf de Paul Newman), Céline Monsarrat (vf de Julia Roberts) et Jean-Pierre Michaël (vf de Brad Pitt).
(Rencontre animée par François Justamand (La Gazette du Doublage))

Trois excellents comédiens, grandes voix du doublage, réunis pour une rencontre inédite : 
-Marc Cassot, grand doyen en activité du doublage, vu dans de nombreux films (« Si tous les gars du monde ») et pièces (dont « Reviens à l’Elysée », grand succès) ; voix française de Paul Newman dans la plupart de ses films, mais également de Richard Harris et Michael Gambon (Dumbledore dans les « Harry Potter »), Clint Eastwood dans « Million Dollar Baby », Steve McQueen dans « Le Kid de Cincinatti », etc.
-Céline Monsarrat, comédienne, auteur de pièces de théâtre… et l’une des plus jolies voix du doublage français. Depuis des années, elle double Julia Roberts, Cheryl Ladd, Morgan Fairchild, mais aussi Courteney Cox dans « Scream », Melina Kanakaredes dans « Les Experts », le personnage de la Schtroumpfette, Dory dans « Le Monde de Nemo », Anastasia, etc.
-Jean-Pierre Michaël, ancien sociétaire de la Comédie-Française (plus de 35 pièces entre 1988 et 2004), héros des deux premières saisons de la série "RIS police scientifique" (2006-2009). A la synchro, il est la voix française de Brad Pitt, Jude Law, Keanu Reeves, Michael Fassbender, Ben Affleck, Jim Caviezel dans « Person of interest »... Il a été choisi pour faire l'habillage vocal de la chaîne D8 depuis 2012.


14h-15h30 : « Cascades en série » avec les cascadeurs et coordinateurs de cascades Rémy Julienne, Michel Berreur, Alain Figlarz (et, sous réserves, Michel Julienne)
(Rencontre animée par Vincent Chenille (Sérialement Vôtre))

Quelles sont les exigences des séries aujourd’hui en matière de cascades? Qu’est-ce qui a changé depuis cinquante ans dans la façon dont on conçoit les cascades? Telles seront les questions posées à nos invités, Rémy Julienne, Michel Berreur, Alain Figlarz avec des exemples pris au cinéma (« Le gendarme », « James Bond », « Jason Bourne », « Taken », « Coplan », « Les brigades du tigre ») et à la télévision (« Commissaire Moulin », « Fantômas », « Karateka & C° »).


INFOS PRATIQUES:
Lieu: L'Auguste Théâtre, 6 impasse Lamier, 75011 Paris (métro Philippe-Auguste)
(Attention: l'événement ne se tient plus au centre Valeyre)

Horaires d'ouverture: de 10h30 à 16h

Tarifs: Packs "2 débats" disponibles en prévente uniquement ici
https://www.placeminute.com/salon_forum/printemps_des_series_et_du_doublage,1,8968.html
Des places "1 débat" seront vendues à l'unité (5€) sur place, mais en nombre limité.

Important:
-Pour des raisons techniques, les spectateurs en retard ne pourront pas être acceptés dans la salle.
-Les débats seront suivis d’une séance de dédicaces de 30 mn, en fonction des disponibilités de nos invités.

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Hommage à Guy Piérauld

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Guy Piérauld s'est éteint dans la nuit du 16 au 17 juin à l'âge de 90 ans, a-t-on appris par l'ami François Justamand (La Gazette du Doublage). Peu de voix caractérisaient aussi bien le monde de l'enfance que la sienne. Celui grâce à qui Bugs Bunny parla français pour la première fois laisse des millions de "grands enfants" orphelins.  

Guy Piérauld est un enfant de Lyon, une ville à laquelle il restera toujours  attaché, tout comme son grand ami Jean Amadou. C'est à 17 ans, lors d'une répétition, qu'il se "vrille" une corde vocale, donnant ainsi à sa voix un timbre si particulier, à la fois éraillé et dérivant vers l'aigu.  

Sa voix et son physique le prédisposent à des personnages à la fois comiques et poétiques. Guy commence après-guerre une belle carrière au théâtre sous la direction des plus grands (Charles Dullin, André Barsacq, etc.), mais également au cabaret (La Rose Rouge) où il côtoie Raymond Devos, les Frères Jacques, Yves Robert (qui le mettra en scène plusieurs fois au théâtre). Une longue carrière théâtrale sans interruption, jusqu'au début des années 2000.

La télévision lui offre aussi beaucoup de rôles, à la grande époque des pièces en direct et des émissions de variétés. Sa participation régulière à l'émission Sérieux s'abstenir puis quelques années plus tard à C'est pas sérieux! lui donne une belle reconnaissance du public. Les plus jeunes d'entre nous se souviennent aussi de lui dans le sitcom AB Le miel et les abeilles (années 90) où il jouait Monsieur Albert. Guy se rappelait mi-consterné mi-amusé de cette période de sa vie, où il recevait dans sa boîte aux lettres le scénario la veille au soir du tournage.  

Au cinéma, une filmographie assez peu fournie, quelques petites participations à des films de Truffaut (Domicile conjugal) et de Resnais (Stavisky), mais aussi à des comédies grivoises comme l'étonnant Prenez la queue comme tout le monde de Jean-François Davy (avec tous les comédiens habitués des studios de doublage SND: Richard Darbois, Jean Droze, Philippe Dumat, Lita Recio, etc.) dans lequel il interprétait un homme quitté par sa femme et à qui il ne restait plus rien à part un sous-vêtement. Guy Piérauld se lamentant en slip léopard dans un appartement complètement vide, grand souvenir de cinéphile.

Sa voix "cartoonesque" le conduit assez vite à travailler pour la radio (on lui doit la première voix d'Astérix sur Radio Luxembourg) et le doublage. Le personnage de Bugs Bunny et son célèbre "Quoi d'neuf docteur?" qu'il prononçait en enregistrement en grignotant des sucres (pour ne pas s'étouffer avec des bouts de carottes) reste indissociablement lié à sa voix. Il gardait pour lui une véritable affection: "J'éprouve pour Bugs Bunny une grande tendresse. Je le trouve charmant, malin, et puis pas méchant. Comparativement à Woody Woodpecker que je fais aussi et que je trouve méchant" raconte-t-il à la télévision en 1969.
Le personnage lui colle à la peau, même dans les moments les plus difficiles. "J'ai eu une lourde opération, un double pontage. Dans la salle de réanimation le chirurgien arrive alors que je suis complètement dans le coaltar et me dit "Alors, on ne me dit pas "Quoi d'neuf docteur?"" raconte-t-il au Salon des Séries et du Doublage en novembre 2013.
Au milieu des années 90, après 35 ans de bons et loyaux services, des responsables de la Warner l'invitent à déjeuner pour le féliciter de son travail. Guy apprendra quinze jours plus tard qu'il est remplacé, et qu'une nouvelle équipe va non seulement doubler les nouveaux Looney Tunes, mais également redoubler les anciens. Assez chagriné par la manière dont ça s'est passé, il ne semblera néanmoins pas garder d'aigreur à ce sujet.


Guy Piérauld double Bugs Bunny et parle de doublage avec Jean Amadou (1975)



Le doublage de dessins animés procure un grand plaisir à Guy Piérauld, celui de travailler pour les enfants: "C'est merveilleux, ils sont d'une sincérité, il n'y a pas de problème. Ou ça leur plaît et ça se voit, ou ça ne leur plaît pas et ça se voit encore plus. Ca c'est extraordinaire. De toute façon, pour les gosses, il n'y a pas de mystère: il faut que nous soyons, nous, sincères, complètement sincères."
Parmi les autres personnages de la mythologie enfantine qu'il double outre Bugs Bunny et Woody Woodpecker, beaucoup de seconds rôles dans les doublages Disney des années 70-80 (dont l'inoubliable lapin blanc d'Alice au pays des merveilles ou Grignotin, la taupe des Winnie l'ourson), bon nombre de personnages Hanna-Barbera souvent en tandem avec son ami Roger Carel (Jappy et Pappy toutou, Magilla le gorille, etc.), mais également un personnage bien français à qui il donne une pointe d'accent du midi, la marionnette Kiri le Clown (années 60) très populaire chez les enfants, comme se souvient avec humour mon ami comédien William Sabatier:
"Ma femme et moi avions le plus grand mal à faire manger notre fils Jean-Michel, qui à cinq ans adorait Kiri le clown. J'avais demandé à Guy de téléphoner à Jean-Michel en se faisant passer pour Kiri et de lui faire la morale, lui demander de bien manger sa soupe tous les soirs. Guy a été tellement convaincant que Jean-Michel est devenu quelques années plus tard un grand garçon d'un mètre quatre vingt-dix!"

La voix si particulière et reconnaissable de Guy Piérauld, qui s'épanouit dans les dessins animés, lui ferme des portes pour le doublage de "vrais" acteurs. "On me faisait souvent doubler des nains dans les péplums" se souvenait-il avec amusement. A la télévision, il double Don Adams dans la série Max la Menace, en égayant un peu le personnage. Il est également l'une des premières voix de Woody Allen (Prends l'oseille et tire-toi (1969)).
Mais s'il y a bien un acteur qui colle à merveille à la voix de Guy Piérauld, c'est l'humoriste rouquin Red Buttons. L'interprétation de Guy retransmet bien toute la part d'humanité et de fantaisie de l'acteur. Il lui prête sa voix dans Le Jour le plus long, Hatari!, L'Aventure du Poséidon, mais également On achève bien les chevaux, grand souvenir de doublage pour Guy Piérauld. En effet, la belle Jane Fonda vient se doubler elle-même en français et propose à Guy de danser avec lui au moment du doublage pour être dans les mêmes conditions qu'à l'écran.

Depuis le début des années 2000, Guy Piérauld arrête progressivement le doublage en raison de problèmes de vue qui le handicapent."Lorsque nous doublions les derniers Winnie, je lui donnais une petite tape sur l'épaule quand c'était à lui de parler" m'avait raconté avec tendresse son ami Roger Carel.

Pour notre Salon des Séries et du Doublage de novembre 2013, Guy accepte de venir malgré de sérieux ennuis de santé, dont un AVC qui lui a occasionné de gros problèmes d'élocution. "J'ai eu un AVC il y a deux mois, donc je parle encore difficilement mais j'ai absolument voulu venir, car rencontrer des gens qui vous aiment, c'est formidable" déclare-t-il devant un public ému aux larmes. 
A l'occasion de cette rencontre "Légendes du doublage" avec Jacques Thébault et Paule Emanuèle, Guy chantonne le générique de Kiri le clown et nous raconte de drôles et émouvantes anecdotes, comme par exemple la manière avec laquelle le grand réalisateur Abel Gance l'avait dirigé pour post-synchroniser un hibou.




Une part de notre enfance et de son innocence vient de partir car le sympathique Guy Piérauld n'est plus, mais gageons que celui qui l'a accueilli "là-haut" lui a demandé "Vous pouvez me dire "Quoi d'neuf docteur?"".

Pour en savoir plus: lire l'interview de Guy Piérauld par François Justamand dans La Gazette du Doublage, regarder des extraits de ses interventions au Salon des Séries et du Doublage (plusieurs parties), regarder le montage du "Monde du Doublage Français", retrouver les anciennes VF des Looney Tunes grâce à Mike.



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Actualités estivales

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Actualité de quelques amis de "Dans l'ombre des studios"...



La comédienne et chanteuse Rachel Pignot, merveilleuse voix chantée de Blanche-Neige dans le doublage de 2001, est en ce moment au festival d'Avignon à l'affiche de Naturellement belle (au Théâtre des Béliers, tous le jours à 13h50), la comédie musicale qu'elle a co-écrite avec Raphaël Callandreau. Un très joli spectacle qui traite avec humour de la dictature de l'apparence dans nos sociétés modernes.
A la rentrée, Rachel investira la scène du Théâtre Essaïon (Paris) pour deux spectacles: Les Frangines chantent Les sœurs Etienne (tous les lundis et mardis à 21h30, à partir du 28 septembre) et Au bar de l'Estran (spectacle de chansons autour de la mer et des marins, tous les jeudis, vendredi et samedis à 19h45 à partir du 1er octobre).

Dans ce doublage de Blanche-Neige, on peut également entendre Joyeux avec la voix de Jean-Loup Horwitz, cet excellent comédien que l'on voit régulièrement sur les plus belles scènes de théâtres. Jean-Loup a écrit une pièce, Adolf Cohen, qu'il interprète en ce moment en Avignon avec Isabelle de Botton (tous les jours à 14h20 au Théâtre Au coin de la lune). Critique ici

Il n'y a pas qu'Avignon cet été, l'ami Patrice Dozier (Dormeur dans Blanche Neige...Non, je vous assure, ce n'est pas une obsession!) tourne en ce moment dans toute la France la pièce L'homme et la femme de Sacha Guitry, dans une mise en scène de Jean-Christophe Barc. Il sera demain (dimanche 12 juillet) à Cast près de Quimper, puis fin juillet au festival de Rocamadour.

Michel Mella (Timide dans..., enfin, vous savez...) a écrit un texte publié chez Alna Editeur dans le recueil Charlie forever: dix-neuf auteurs s'engagent pour la liberté d'expression.

Côté disques, je suis fier d'avoir été à l'initiative de la sortie d'une compilation de Danielle Licari chez Marianne Mélodie. Cela faisait des années qu'il n'existait plus de compilations de Danielle dans le commerce (à part quelques pressages japonais ou canadiens illégaux), j'ai proposé à Danielle de lui trouver une maison de disques et contacté Mathieu Moulin, qui avec ses équipes de "Marianne Mélodie" (et l'aide iconographique de mon ami Gilles Hané) a fait du très bon travail. Un objet indispensable pour redécouvrir la talentueuse interprète du "Concerto pour une voix" qui a également participé à de nombreux choeurs, doublages (Aurore dans La Belle au Bois dormant), musiques de films (Catherine Deneuve dans Les Parapluies de Cherbourg), etc.

Toujours chez Marianne Mélodie, c'est le regretté Jean Constantin qui est à l'honneur avec un double CD qui comprend de nombreux inédits en CD, parmi lesquels les titres orchestraux qu'il avait enregistrés sous le nom de Big Cesar. Je n'ai pas eu la chance de connaître l'auteur de "Mon manège à moi", mais sa veuve (Lucie Dolène) et ses trois enfants (Olivier, François et Virginia) sont tous des amis de grand talent.
A ce propos, Olivier Constantin sera à partir du 4 septembre à l'affiche de la comédie musicale Gospel sur la colline aux Folies Bergère. Olivier est un "homme de l'ombre", choriste pour de nombreux chanteurs. Il avait pu nous montrer tous ses talents de comédien en doublant les dialogues et chansons de Jack dans L'étrange Noël de Monsieur Jack. Heureux de le voir enfin jouer et chanter "en chair et en os" dans une grosse production.

Enfin, j'ai créé pour Jacques Ciron une page Facebook pour laquelle Jacques me transmettra de temps en temps des photos, anecdotes, hommages, coups de coeur théâtraux, etc. Rejoignez vite la page de ce formidable comédien.


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Hommage à Jacques Thébault, voix française de Steve McQueen

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J'ai appris avec tristesse par l'association James West (fan-club des Mystères de l'Ouest) le décès du comédien Jacques Thébault. Un mois à peine après Guy Piérauld, c'est une autre immense légende du doublage qui nous quitte. Si Guy était spécialiste des seconds rôles comiques et personnages de dessins animés, Jacques Thébault excellait lui dans le doublage des héros du petit ou du grand écran (Steve McQueen, Clint Eastwood, Patrick McGoohan, Robert Conrad, etc.). 
Je l'avais interviewé chez lui il y a deux ans, mais n'avais pas encore trouvé le temps d'en faire la retranscription. Voilà qui est fait, en hommage à un grand comédien, et à un homme intelligent et complexe, qui portait un regard sarcastique et lucide sur ce métier.

"Venir en Normandie un dimanche matin par mauvais temps pour voir un vieux, il en faut du courage...". C'est par ces mots que Jacques nous ouvre la porte de sa maison normande le 3 février 2013. Je suis accompagné par mon ami Nicolas Barral, talentueux dessinateur de bandes dessinées (Les Aventures de Philip et Francis, Nestor Burma, Baker Street, etc.), passionné de doublage et ami de Jacques depuis 1999. Je lui dois d'avoir arrangé cette rencontre.

Jacques Thébault est né le 4 décembre 1924. Son père aurait voulu être comédien, mais il s'était marié trop jeune et avait déjà deux enfants. "Il a joué une pièce au Théâtre de l'Oeuvre mais il n'a pas continué." se souvient Jacques.
Son père ne s'oppose pas à ce qu'il suive une voie artistique. "Je travaillais à l'usine de 6h à 13h, et à 15h je prenais mes cours chez Charles Dullin au Théâtre de la Cité (ex Théâtre Sarah Bernhardt, devenu Théâtre de la Ville, ndlr). Et le week-end je faisais projectionniste au cinéma de Saint-Gratien pour payer mes cours." 

Charles Dullin
Comment ne pas évoquer avec lui le grand Charles Dullin... "Il avait du génie. Ce n'était pas un professeur, c'était un phare. Il nous parlait toujours gentiment, et encore plus si on lui payait un petit coup de boire, car il n'avait pas de sous. C'était un grand ami de Louis Jouvet, mais ils s'engueulaient tout le temps alors qu'ils avaient pourtant la même méthode."

Au Cours, il se retrouve avec Roger Vadim (avec qui il fréquente les cabarets rive gauche), mais également Edmond Tamiz. Il tente le concours d'entrée du Conservatoire mais n'est admis que comme auditeur.

Jacques joue dans plusieurs pièces, notamment dans Poppi avec Louis de Funès qu'il admire beaucoup mais n'apprécie guère dans le travail. Dans cette pièce, Jacques chante en s'accompagnant à la guitare, sans en connaître une note. 
Son meilleur souvenir de théâtre? ""La Brise-l'âme" une pièce que j'ai jouée au Théâtre de l'Oeuvre. La critique et mes amis détestaient, on se faisait insulter par le public, mais ça m'amusait beaucoup. C'était écrit dans un langage spécial, une novlangue. J'avais mis ma copine Paule Dehelly dans le coup, très grande comédienne, qui était déjà une vedette au moment où je suis entré chez Dullin, et qui a suivi Jouvet pendant la guerre. Elle avait une fiasque de scotch qu'elle mettait le long d'un portant, et moi je la lui planquais. Quand elle sortait de scène elle la cherchait partout (rires)." 


Au théâtre, Jacques n'appartient pas à une "troupe" en particulier, mais retrouve en revanche une sorte de famille à la radio, au célèbre "club d'essai". "On travaillait avec des auteurs formidables, que j'ai retrouvés plus tard à la télé. Ils écrivaient des trucs qu'ils nous faisaient jouer de différentes façons: tragique, comique, etc. C'était très brillant."

Il a également fait une brève carrière de chanteur "rive gauche" comme en témoignent deux passages à la télévision dans L'école des vedettes en 1959, parrainé par Juliette Greco et Annie Cordy. Jacques se trouvait assez mauvais comme chanteur mais certainement par fausse modestie, car son travail était plus qu'honorable.




Il tourne au cinéma dans Le Triporteur (1957) avec Darry Cowl, un bon souvenir car son fils naît pendant le tournage. "Au cinéma: je n'ai fait que des bricoles. Si vous n'avez pas un rôle important ça n'a aucun intérêt."

Les années 50 marquent aussi la grande époque des "dramatiques" (téléfilms tournés en direct) de Stellio Lorenzi, Claude Barma, Marcel Bluwal, etc. "Mon ami Roger Crouzet leur a sauvé des coups, il leur a tout joué, des lignes et des lignes en direct, ils ont triomphé grâce à lui, ils l'ont pressé comme un citron et ensuite n'en voulaient plus. Tout le monde peut être metteur en scène, mais pas comédien."

Serge Luguen et Alfred Kirschner qui s'occupaient alors des doublages Universal lancent Jacques Thébault dans le doublage en 1948. Jacques se souviendra toujours avec amusement de sa première réplique: "Le ventilateur est cassé!".

Quand on lui demande s'il avait des modèles à ses débuts dans le doublage, Jacques Thébault évoque Claude Péran (voix française d'Humphrey Bogart et d'Henry Fonda), qu'il aimait beaucoup. "On m'a demandé de redoubler "Casablanca" car le son d'époque était inutilisable mais ça ne m'avait pas beaucoup emballé car on m'avait demandé de "copier" le travail de Claude."


Marc Valbel
Claude était présent en 1948 à l'une de ses premières séances de doublage."J'étais à la barre entouré par Marc Valbel et Claude Péran. Ils se sont regardés "Il est syndiqué, ce jeune?" et je leur dis "Je débute, et pour être syndiqué, il faut que j'aie des heures d'enregistrement ou des années d'ancienneté, non?". Ils m'ont dit que ce n'était pas le peine, et m'ont accompagné rue Monsigny, où je me suis inscrit à la CGT Spectacles. Puis j'ai pris des responsabilités dans le syndicat, et j'ai toujours été engagé syndicalement."Un engagement syndical qui s'est perdu chez les nouvelles générations. Il s'en est rendu compte lors des des derniers doublages qu'il a faits, pour la série The Cosby Show. "Il y avait plein de jeunes mal payés, qui attendaient leur chèque. Je leur demande "Mais vous n'êtes pas syndiqués?""-Non..."".

Claude Péran, Marc Valbel, une "caste" de comédiens habitués des plateaux de doublage. Etait-ce difficile de s'y intégrer? "A mes débuts au doublage, tout le monde était charmant avec moi, même Maurice Dorléac  qui avait une réputation désagréable. Je m'entendais très bien avec lui, je connaissais bien ses deux filles (Françoise Dorléac et Catherine Deneuve, ndlr). Jacques Ferrière m'emmerdait toujours en me parlant de Dorléac, du coup un jour pour un doublage je convoque pour une même séance Dorléac et le duo Jacques Ferrière-Michel Muller et je leur dis "Vous voyez , vous qui me réclamiez de rencontrer Maurice Dorléac...". Ils ne savaient plus où se mettre. J'adorais faire des petites blagues comme ça."

Je lui raconte que quand des jeunes comédiens dans les années 80 se plaignaient de Jacques Willemetz les anciens leur répondaient "Ne vous plaignez pas, vous n'avez pas connu Maurice Dorléac", Jacques sourit, et se souvient de Willemetz. "Comme le studio était loin de chez moi, on était parti à l'aube avec Marcel Bozzuffi pour un doublage qu'il dirigeait. On était mal réveillé, et de mauvaise humeur.  Willemetz nous présente le metteur en scène italien qui était venu superviser le doublage de son film. Celui-ci nous dit: "Oh moi, j'ai pris des vrais mineurs pour jouer dans mon film". Il avait pris des amateurs, ça commençait bien. Et puis il s'en va. Willemetz commence à nous faire travailler et ça ne va pas très bien, ni pour Bozzu ni pour moi. Willemetz nous dit "Mes enfants, ça ne va pas très bien, si vous dormez ce n'est pas la peine de venir, vous n'avez qu'à rentrer chez vous!". Bozzu le regarde et lui dit "C'est pas con ce que tu viens de dire", il prend sa veste, je prends la mienne, et on s'en va tous les deux."



"Compilation" des doublages de J. Thébault par "Le monde du doublage français"

Dans les années 60, Jacques double à peu près tous les plus grands acteurs du moment pour le cinéma et la télévision, à commencer par Steve McQueen. "Pour Steve McQueen je demandais plus d'argent car il ne parlait pas." s'amuse-t-il. Il le double dans la série Au nom de la loi, et la plupart de ses films: Bullitt, Nevada Smith, PapillonL'affaire Thomas Crown, etc.
Les principales exceptions sont Les Sept mercenaires et La Grande évasion (où Henry Djanik m'avait raconté avoir demandé l'autorisation de Jacques à l'époque pour le faire)... ou La canonnière du Yang-Tsé. Au sujet de ce film, j'emprunte à Stéphane Lerouge une anecdote qu'il lui avait racontée (Génération Séries, 2ème trimestre 1996) "Le responsable du doublage, un homme d'une rare intelligence a déclaré : "Steve McQueen est blond, il me faut donc un comédien blond pour le doubler!". C'est d'une logique implacable, non? Comme mes cheveux étaient bruns, je n'avais évidemment aucune chance et ils ont engagé Jacques Deschamps, qui, le veinard, avait sur moi l'avantage d'être châtain clair! On peut se demander comment, malgré nos différences capillaires, j'ai été choisi pour prêter ma voix à Cosby dans le "Cosby Show"!"

Autre souvenir raconté par Francis Lax (émission Bas les masques, 14/02/96): "Un jour, Steve McQueen est mort, c'était bien triste, et comme les comédiens ont un humour désespéré on dit à Jacques Thébault au studio d'Epinay "Alors, tu ne pourras plus construire maintenant, il va falloir arrêter les maçons". Plaisanterie de mauvais goût. Et puis au moment du déjeuner "Alors, toi, c'est soit fromage, soit dessert, car depuis que Steve McQueen est mort...". Et tout à coup j'entends "Il n'est pas mort parce que je vous entends". C'était un non-voyant de naissance, avec sa femme, derrière nous, qui entendait Jacques Thébault. Je ne connais pas de plus belle histoire que ça sur notre métier"



Mais Steve Mc Queen (qu'il a rencontré à Paris) n'arrive que troisième dans les acteurs que Jacques préfère doubler, derrière John Cassavetes (Rosemary's Baby, Furie) et Patrick McGoohan (Destination DangerLe Prisonnier). Pour ce dernier, il inventera spontanément, en plein doublage, le "Bonjour chez vous" du Prisonnier, afin de traduire "Be seeing you". L'expression restera dans les annales des passionnés de séries.

Il double aussi des acteurs très populaires mais qu'il trouve moins intéressants comme Audie Murphy ("Il était devenu star parce qu'il avait fait la guerre et était l'acteur le plus décoré des Etats-Unis, mais il manquait de charisme") ou Robert Conrad dans la mythique série Les Mystères de l'Ouest. "J'ai bien aimé doubler cette série, qui avait du rythme. Le personnage ne m'avait pas passionné sur le plan de la comédie et Robert Conrad n'était pas un immense acteur mais il s'est amélioré plus tard dans "Les Têtes Brûlées", que j'ai doublée également."



Jacques Thébault et Serge Sauvion interviewés à la télévision

Pour certains acteurs, on lui demande d'épurer un peu le jeu comme pour Jeremy Brett dans la série des Sherlock Holmes. "Il était très "maniéré" dans la Version Originale, mais c'était un acteur intelligent." 

Dans Docteur Jivago (1965), il double tout d'abord Klaus Kinski, puis le comédien qui devait doubler Alec Guinness ne faisant pas l'affaire, on l'appelle également pour doubler Guinness. Autre classique: Zorba le grec (1964) où il double Alan Bates sous la direction du réalisateur Michael Cacoyannis.

Jacques double en outre régulièrement ou ponctuellement Paul Newman (Le Gaucher), Clint Eastwood (Un shérif à New York), Roy Scheider (Les Dents de la mer), George Chakiris (West Side Story), Anthony Hopkins (Le Bounty), Christopher Lee (L'homme au pistolet d'or), Elvis Presley (Le shérif de ces dames), Christopher Plummer (La nuit des généraux), etc. Des personnages en général assez froids, à laquelle sa voix colle parfaitement.


Dédicace de Nicolas Barral (2009)
Tous ces acteurs (McGoohan, Conrad, Cassavetes, etc.) il les retrouve dans la série Columbo dans des rôles d'assassins, à tel point qu'on pouvait en entendant sa voix, deviner aussitôt qui allait être le "méchant" de l'épisode.

Il prête sa voix régulièrement à des voix-off de films (Le Bal des Vampires, Massacre à la tronçonneuse) ou de séries (dernière saison des Brigades du Tigre). Sa prestation la plus marquante est certainement la narration des Incorruptibles.
Cela lui amène de nombreux revenus car les marques s'arrachent la voix-off des Incorruptibles pour leurs publicités. "On m'a sollicité pour la marque Canada Dry, des pubs tournées par Edouard Molinaro. On me demande au téléphone  quels sont mes tarifs, j'annonce un chiffre. Le producteur me dit "Vous n'allez pas me demander ça?" je lui réponds "Je ne vais pas vous le demander puisque je VIENS de vous le demander". Il accepte mais sans m'envoyer le contrat. Je me rends au studio, et quelques minutes avant l'enregistrement, je le lui fais remarquer, il me dit "-Oh, je n'ai pas eu le temps""-Mais on a le temps maintenant". Et il a été obligé d'écrire le contrat avec ce qu'il avait sous la main, un papier en-tête. L'ingénieur du son à la fin de l'enregistrement dit "C'est parfait" et le producteur répond "Au prix où je le paye, ça peut être parfait" (rires)."

La publicité l'ennuyait énormément."Ils sont dix dans l'aquarium et il y en a toujours un qui n'est pas d'accord, la seule fois où cela ne m'a pas dérangé c'était pour Téléstar où j'enregistrais toutes les semaines une publicité, je travaillais directement avec l'ingénieur du son et c'était beaucoup plus simple."

Parmi les figures de la publicité à l'époque, Pierre Bellemare, qui vient de lancer un studio d'enregistrement Place Beauvau. "Pierre Bellemare m'a fait un drôle de coup: je doublais Steve McQueen dans "L'Affaire Thomas Crown"à la SPS, il me téléphone et me demande "Vous êtes où?""-Je suis en train d'enregistrer à la SPS""-Passez moi le directeur!""-Pourquoi?""-J'ai un truc à vous faire enregistrer ce soir"
Et le soir il est venu au studio avec tout l'aéropage d'Unilever pour une publicité pour de la lessive. Il ne forçait pas les choses (rires)"

Jacques est peu sollicité pour doubler des dessins animés. Il prête quand même sa voix à un célèbre personnage, Lucky Luke, dans la série éponyme, succédant ainsi à Marcel Bozzuffi (Daisy Town) et Daniel Ceccaldi (La Ballade des Dalton) : "Les épisodes étaient adaptés par Philippe Landrot de chez Dargaud, et c'est Pierre Tchernia qui dirigeait les doublages. Enfin... il ne me donnait jamais d'indications à tel point qu'un jour j'en ai eu marre, je suis allé le voir et il m'a dit "Non, ça va, mon vieux, ça va". Après, ça a changé de studio et il ne restait plus que Tornade et moi". 
Il double également dans Le vent dans les saules les dialogues et les chansons sous la direction de Vincent Grass, avec la participation de Claude Lombard.

Jacques Thébault dirige aussi des doublages. C'est Jacques Barclay qui lui met le pied à l'étrier à Gennevilliers sur la série Daktari. Puis la Paramount, représentée par Isy Pront, décide de remplacer en même temps tous ses directeurs artistiques (Maurice Dorléac, Serge Nadaud) et choisit pour prendre la relève Marc Cassot, Jean Lagache et Jacques. "Diriger des comédiens n'est pas toujours évident, par contre quand vous dirigez Romy Schneider, Michel Serrault ou George Wilson, c'est une chance. Mais il faut éviter d'être impressionné... Quand je vois Romy Schneider, je suis déstabilisé. Encore plus quand son chauffeur vient m'apporter de sa part une bouteille de scotch dans la journée. On avait doublé un film avec elle et Maurice Ronet, et on avait déjeuné tous les trois, un beau souvenir."

Jacques Thébault arrête progressivement le doublage dans les années 90, après s'être retiré en Normandie: "Ca s'est arrêté petit à petit, j'ai continué les Cosby pendant trois ou quatre ans. Je faisais des aller-retour à Aubervilliers, j'étais payé à la ligne, je demandais seulement à ce qu'on me garde une place de parking car Deschamps s'était fait ouvrir sa voiture. Puis je n'ai plus eu l'envie car je ne connaissais plus personne à part les rôles récurrents."

Jean-Pierre Jeunet le sollicite pour faire la voix-off de son film Le Fabuleux Destin d'Amélie Poulain. "Il avait été très flatteur au moment de l'enregistrement, et finalement sans prendre la peine de m'appeler, il a pris André Dussollier."Jean-Pierre Jeunet en parlera de façon peu élégante dans le bonus du DVD.

Il reçoit aujourd'hui des droits Adami sur le doublage des films européens, l'un des combats de la grève. Pour les films américains, les comédiens ont uniquement reçu un forfait, en fonction de leurs fiches de paie. "Le gars qui m'a reçu n'a pas eu de bol, car il a eu dans la même journée Jean-Claude Michel avec trois valises de fiches de paie et moi avec une valise et demi."

L'auto-dérision de Jacques Thébault:
photo avec sa poubelle
A l'exception de Nicolas Barral (qui a raconté son admiration pour Jacques Thébault dans l'album A vous, Cognacq-Jay aux éditions Delcourt et glisse régulièrement des clins d'oeil au doublage dans ses albums) et de quelques comédiens comme Roland Ménard et Paule Emanuèle, avec qui il était en contact régulier Jacques s'était volontairement coupé du métier et des voxophiles depuis quelques années, jusqu'à ce qu'il se décide à 88 ans, quelques semaines avant notre entretien, à s'inscrire sur Facebook, à voir du monde, répondre à ses "fans", etc. "Je suis un curieux bonhomme. J'ai eu l'année dernière une opération assez grave qui m'a fait voir les choses sous un autre angle. Je me suis dit: je vais bientôt mourir, avant de partir j'aimerais bien découvrir internet. Je me suis fait installer un ordinateur et Facebook. Mais je ne parle pas beaucoup sur Facebook, car quand on parle on dit des bêtises!".

Il retrouve sur ce média sa vieille copine Perrette Pradier, et suit l'actualité du métier. "J'ai vu qu'il y a maintenant des "écoles du doublage", je rêve! Remarquez, quand j'étais en activité j'ai vu des danseuses nues faire du doublage... mais elles étaient habillées!". Il apprend également le décès de ses camarades, comme Bernard Dhéran, quelques jours avant notre rencontre: "Il avait un certain talent mais était très snob. Un après-midi on répétait le tournage d'un feuilleton pour la télé et j'avais une sciatique qui me faisait tenir accroupi. C'était une grosse journée car le matin je doublais Les Incorruptibles et le soir je jouais au théâtre. Dhéran arrive et me fait "Oh je vois ce que c'est. Mais moi j'ai attrapé ça de manière plus glorieuse, je l'ai eue au tennis"." 

La sympathie des fans le touche et l'amuse, de même que les informations qu'on peut trouver sur internet. "Quand j'ai eu ma lourde opération, juste avant d'être endormi je demande "-Faites attention à mes cordes vocales!""-Pourquoi, vous êtes chanteur?""-Non, comédien". Et à mon réveil, le chirurgien me dit "Vous auriez pu me dire avant tout ce que vous avez fait!". Pendant mon sommeil il était allé voir ma page sur Wikipedia!"



Profitant de cette marque d'"ouverture"à son public, je lui propose, non sans culot, de participer à notre 10ème "Salon des Séries et du Doublage" qui se tient quelques mois plus tard (16 novembre 2013). Il est assez hésitant, ne sait pas ce qu'il va dire (ayant perdu l'habitude de parler), se demande si les gens vont être intéressés, puis finalement se laisse convaincre, avec l'appui du fan-club des "Mystères de l'Ouest". Sur place, il est d'une grande disponibilité auprès de son public, signant des autographes, se laissant prendre en photo ("J'ai l'impression d'être un panda dans un zoo" me glisse-t-il alors dans l'oreille) et participant avec Guy Piérauld et Paule Emanuèle à la conférence "Légendes du doublage" animée par François Justamand. 

Jacques s'est éteint le 15 juillet dans sa Normandie. Sa voix reste omniprésente dans nos souvenirs, et à la télévision, comme il y a encore quelques années où TMC nous proposait des après-midis avec en file indienne "Au nom de la loi", "Sherlock Holmes", "Les Mystères de l'Ouest" et "Kojak".

En faisant un bilan de sa carrière, il la résumait ainsi: "Radio, synchro, télévision, c'est déjà pas mal!", en ajoutant avec malice "Et maintenant, Facebook!". Adieu, Monsieur Thébault... Et "bonjour chez vous".


Dessin hommage de Nicolas Barral à Jacques Thébault, 
réalisé pour "Dans l'ombre des studios"


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Joyeux anniversaire Claudine Meunier!

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Voix chantée de Madeleine dans Les Parapluies de Cherbourg (1964) et d’Esther dans Les Demoiselles de Rochefort (1967), membre des Swingle Singers et des Double Six, Claudine Meunier est certainement l’une des plus jolies –mais aussi les plus discrètes- voix des années 60-70. Elle a fêté hier ses 88 ans. L’occasion pour moi de vous présenter en quelques mots son parcours…


Claudine Barge naît le 26 avril 1926. Son père est artisan émailleur-chromeur et joue du violon en amateur. Il commence à lui apprendre le violon mais c’est surtout vers le chant que Claudine s’oriente. A neuf ans, elle est déjà un phénomène vocal, et enchaîne les concours –notamment les radios crochets- où elle reçoit de nombreux prix. Puis elle intègre vers l’âge de douze ans un chœur d’enfants, Les Petits Chanteurs d’Opéra, qui se produit régulièrement sur les scènes parisiennes. « Je me souviens qu’en 1941 on devait chanter au cinéma Le Paramount qui à cette époque-là faisait attraction comme dans les grands cinémas et je devais chanter l’air de la poupée des Contes d’Hoffmann et on nous a interdit cet air-là car Offenbach était juif. Donc j’avais chanté à la place l’air des clochettes de Lakmé, car j’étais une soprano colorature étant enfant. » 


Pendant la guerre, Claudine achète des disques du Hot Club de France et se passionne pour le jazz. Après guerre, elle chante dans des clubs de jazz et devient la chanteuse d’un orchestre amateur (qui joue dans des dancings comme le Coliséum), où elle fait la connaissance de son mari, André Meunier qu’elle épousera en 1950. Celui-ci ne souhaitant pas qu’elle suive cette carrière, elle arrête pendant deux ans, avant qu’un ami lui propose qu’elle remplace la chanteuse du « Chalet du Lac » au Bois de Vincennes. Elle devient ensuite chanteuse d’orchestre professionnelle. C’est là qu’elle rencontre le musicien, arrangeur et chanteur Jean Mercadier. « Comme il a vu que j’étais bonne musicienne et que je lisais très bien la musique il m’a demandé si je pouvais faire à l’occasion des séances d’enregistrement comme choriste. J’ai commencé à faire du studio comme ça, en 1956-1957. La première séance que j’ai faite était je crois au Théâtre des Ambassadeurs pour Line Renaud. Puis j’ai enregistré la musique d’un film avec Zizi Jeanmaire, « Folies bergères » si mes souvenirs sont bons ». 


Michel Legrand
1955-1956, c’est l’explosion de deux modes en France : les groupes vocaux (inspirés des groupes de jazz vocal américains) et les chœurs « non-lyriques » pour accompagner des chanteurs de variété (Edith Piaf, Luis Mariano, Charles Trénet, etc. étant jusqu’à présent accompagnés uniquement de chanteurs lyriques, comme ceux du Chœur Marguerite Murcier ou du Choeur Raymond Saint-Paul). Les protagonistes de ces deux modes sont les mêmes, à savoir les arrangeurs modernes des années 50 souvent issus du jazz (Michel Legrand, Christian Chevallier, Jean Mercadier, etc.) et les jeunes choristes de l’époque (Christiane Legrand, Janine de Waleyne, Ward Swingle, etc.).


Claudine Meunier en scopitones
Richard Anthony: Fiche le camp Jack
avec Richard Anthony et Monique Aldebert (soliste), Margaret Hélian, Alice Hérald, Rita Castel et Claudine Meunier
Jacques Hélian: Chi Chi Honolulu
avec Jacques Hélian et son orchestre et Vasso Marco (soliste), Georges Bessières, un membre du trio Raisner, chanteuse non identifiée, Margaret Hélian et Claudine Meunier (soliste)
Les JMS: Papa aime maman
avec Louis Aldebert, Jacques Denjean, Claude Germain, Claire Leclerc, Claudine Meunier, Rita Castel et Geneviève Roblot
 

Pour ce qui est des groupes vocaux, Claudine Meunier intègre les Blues Stars of France (groupe créé quelques années plus tôt par la chanteuse américaine Blossom Dearie) constitué de trois hommes et trois femmes : en alternance Jean Mercadier, Henry Tallourd, Roger Guerin, Christian Chevallier, et deux autres chanteurs chez les hommes, et Nadine Young, Mimi Perrin, Rita Castel, la canadienne Stevie Wise, etc. chez les femmes. Le groupe est considéré par les spécialistes comme le premier groupe de jazz vocal français. Un soir il chante au Sporting Club de Monaco, avec Franck Sinatra en vedette. « On s’est dit « On va se faire dédicacer des photos en coulisses! », mais tu parles, il n’était pas du tout en coulisses, il était en train de dîner avec le prince et la princesse et quand ça a été son tour  il est monté en sautant sur scène une cigarette à la main et il a chanté. On avait discrètement assisté à la répétition. Il m’avait fait une impression terrible, il dégageait vraiment quelque chose. C'était Eddie Barclay qui devait diriger l’orchestre qui l’accompagnait, et finalement Quincy Jones (à l’époque directeur artistique chez Barclay, ndlr) l'a remplacé. »
 

Ensuite, elle fait partie de la deuxième équipe des « Hélianes », le trio de choristes de l’orchestre Jacques Hélian, aux côtés d’Alice Herald et Margaret Hélian. Elle intègre aussi les vingt-quatre choristes des Barclay (où elle travaille enfin directement avec Christiane Legrand, après l’avoir remplacée dans les Blue Stars et les Hélianes) et le JMS, groupe vocal de l’orchestre Jo Moutet.


The Swingle Singers (1er disque)
Puis ce seront les Double Six et les Swingle Singers, deux groupes vocaux de légende créés respectivement par Mimi Perrin et Ward Swingle. « Ward Swingle a commencé comme pianiste de Zizi Jeanmaire puis choriste. C’est en nous connaissant dans les studios qu’il a demandé à plusieurs d’entre nous de rejoindre les Swingle Singers quand il a été question de faire des disques. La paternité du concept du groupe (adapter des œuvres instrumentales classiques en jazz vocal, ndlr) est assez floue : Jean-Claude Briodin aurait soufflé l’idée à Ward en découvrant l’album « Play Bach » de Jacques Loussier, mais Ward dit de son côté qu’il en avait déjà eu l’idée alors qu’il était encore à l’université aux Etats-Unis. Bref, j’ai fait les deux premiers disques des Swingle (Jazz Sébastien Bach) et en même temps je faisais partie avec Jean-Claude Briodin des Double Six. Quand il a été question que les Swingle fassent de la scène ce qui n’était pas du tout prévu au départ il a fallu choisir entre les deux groupes, et Jean-Claude et moi avons choisi les Double Six que je préférais. Mais j’ai vite déchanté car on n’a pas fait grand-chose : Mimi Perrin avait des problèmes de santé et n’avait pas non plus envie de trop travailler. Travailler et répéter énormément uniquement pour faire un enregistrement ou un petit concert de temps en temps,  c’était beaucoup trop d’efforts pour rien. Au bout d’un an, voyant qu’on n’arrivait pas à travailler correctement je suis revenue chez les Swingle en remplaçant Anne Germain qui était sur le départ. Il n’y a donc qu’un disque des Swingle que je n’ai pas fait c’est celui sur Mozart. Ce n’est pas grave, par contre j’ai raté la tournée des Swingle aux Etats Unis pour la campagne de Lyndon Johnson! Je regrette car ça valait le coup… Un concert à la Maison-Blanche on ne le fait pas deux fois dans sa vie. »

Claudine Meunier soliste dans des groupes vocaux
The Blue Stars of France: Summertime (1958)
avec deux chanteurs non identifiés, Jean Mercadier (soliste), Rita Castel, Claudine Meunier (soliste) et Mimi Perrin
Les Double Six: Tickle Toe (1962)
avec Claudine Meunier (soliste), Eddy Louiss (soliste), Ward Swingle, Jean-Claude Briodin, Claude Germain et Mimi Perrin
The Swingle Singers: Sevilla n°3 op. 47 (1967)
avec Claudine Meunier (soliste), Hélène Devos, Jeanette Baucomont, Christiane Legrand, Jean Cussac, José Germain, 
Jo Noves et Ward Swingle
The Swingle Singers: Concerto d'Aranjuez (1970)
avec Claudine Meunier (soliste), Hélène Devos, Nicole Darde, Christiane Legrand (soliste), Jean Cussac, Ward Swingle, 
Jo Noves (soliste) et José Germain
  
Les Swingle Singers connaissant une grande renommée internationale (couronnée par plusieurs Grammy Awards), ils font plusieurs tournées en Europe, aux Etats-Unis, en Amérique du sud, en Asie. « On a chanté plusieurs fois au Japon, le public était particulier, n’applaudissait pas pendant le spectacle. La troisième fois qu’on y est allé c’était pour l’exposition universelle à Osaka en 1970. On chantait dans une salle de concert et en même temps que nous il y avait les Chicago qui passaient dans plusieurs salles. Après notre prestation j’étais allée avec Hélène Devos et Nicole Darde les voir en concert, on était resté en coulisses et là ce n’était pas du tout la même ambiance dans la salle. Nous c’étaient trois applaudissements et eux c’était la folie. On y est allé deux soirs de suite et on s’est régalé. »


Swingle Singers et Modern Jazz Quartet
Les Swingle Singers travaillent avec les plus grands artistes du jazz, notamment le Modern Jazz Quartet avec qui ils enregistrent le disque Place Vendôme, mais aussi Duke Ellington qu’ils accompagnent à l’église Saint-Sulpice dans un oratorio de sa composition. « La musique était belle  mais on n’a eu aucun contact avec Ellington. On a répété sous sa direction, chanté, fait une télévision mais il ne nous a jamais adressé la parole, alors qu’on était quand même un groupe connu. Et en admettant qu’il ne souhaitait pas s’adresser aux choristes, il aurait pu discuter avec Ward, le chef du groupe, qui  en plus était américain, mais même pas. Même les musiciens n’échangeaient pas entre eux, ils étaient fâchés les uns et les autres. »


Le contact passe mieux avec le grand chef d’orchestre et compositeur Leonard Bernstein. « On était  bons copains, on a fait plusieurs soirées où il était là, très sympa. On avait fait le Sinfonia de Luciano Berio, Bernstein n’avait pas voulu diriger mais il était là, et on l’a refait une autre fois avec lui. Il avait un humour assez féroce mais c’était de l’humour plus qu’autre chose. Il appelait les cuivres les « junkies » ».


Les Swingle Singers créent d’autres pièces musicales de Berio, une écriture très « contemporaine ». « Berio nous a fait créer plusieurs trucs dont un au Carnegie Hall qui a été une horreur. On s’est fait siffler, c’était je crois la pire journée de ma vie. On est rentré à l’hôtel complètement catastrophé. »


Le disque des Swingle que Claudine préfère est certainement celui sur les mélodies espagnoles qui contient le superbe concerto d’Aranjuez dans lequel elle a une jolie partition soliste avec Christiane Legrand.


Claudine fera partie plus tard d’autres groupes vocaux comme Les Masques (avec Claude Germain, José Bartel, etc.) ou Quire (avec Christiane Legrand, José Germain et Michel Barouille). On retrouve à chaque fois dans ces groupes les mêmes chanteurs, souvent interchangeables. « Je ne comprends pas qu’on ait autant de mal à garder les mêmes chanteurs dans un groupe, ça m’a toujours suffoqué. Il n’y a que chez les Swingle où il y a eu assez peu de changements en définitive… ».


Janine de Waleyne
Parallèlement aux groupes vocaux, Claudine Meunier fait partie des chœurs de plusieurs chanteurs en studio ou sur scène. Les chœurs sont à l’époque principalement convoqués par Christiane Legrand et Janine de Waleyne (intermédiaires entre les arrangeurs et les choristes) et constitués des mêmes chanteurs que ceux des groupes vocaux. « Janine avait fait partie de la première équipe des Blue Stars avec Blossom Dearie, Christian Chevallier, Christiane Legrand, et le couple Nadine Young – Jean Mercadier. Elle avait une voix formidable, on l’entend dans les chansons de Brel ou de Léo Ferré. C’était une fille qui osait faire les choses, même si elle n’était pas un tempérament jazzy, elle y allait ! Lorsqu’on a commencé à faire des chœurs vers 1955-1956, elle nous a dit « on va en profiter, mais je ne pense pas que ça durera plus de deux ou trois ans ». Et finalement la grande époque des chœurs a duré bien plus longtemps. Janine avait également un caractère épouvantable, ses convocations dépendaient beaucoup de son humeur et de ce qu’on pouvait proposer comme renvoi d’ascenseur. Si j’avais le malheur de m’acheter une nouvelle robe elle ne me faisait pas travailler pendant un mois (rires) ! Le métier de « requin de studio » est impitoyable. Quand on était en tournée  avec les Swingle et qu’un arrangeur demandait « J’aimerais avoir untel et untel » il y avait toujours quelqu’un pour dire « Ils sont en tournée » c’était toujours facile de dire ça. Il y avait donc une part de copinage mais tout en gardant une grande qualité. »


Jean-Claude Briodin et Claudine Meunier chantent à l’Olympia pendant trois mois avec les Double six une chanson par soir. « Du coup on nous avait demandé de convoquer les chœurs des chanteurs qui passaient après nous en vedettes : Richard Anthony, Françoise Hardy, Dionne Warwick, Sacha Distel, Dalida, Gilbert Bécaud. Donc à ce moment-là on a fait beaucoup de séances d’enregistrement tous les deux, car on avait quelque chose à donner en échange ! (rires) ». Elle accompagne Richard Anthony et d’autres artistes avec un autre groupe vocal, Les Angels, en remplaçant Janine de Waleyne suite à une fâcherie entre Janine et l’arrangeur Christian Chevallier. Jeanette Baucomont, Christiane Legrand, Claire Leclerc, Louis Aldebert, Jean-Claude Briodin et d’autres faisaient partie de ce groupe.


Gilbert Bécaud dirigeant les choristes Vincent Munro, Jean-Claude Briodin, Pierrette Bargoin, Claudine Meunier, Géraldine Gogly et Frédérique Gegenbach (Grand échiquier, 1974)
Claudine accompagne Léo Ferré pendant trois mois à l’ABC, et fait également une ou deux séances pour lui en studio. « C’était Jean-Michel Defaye qui faisait les arrangements, il engageait souvent Janine, donc tout dépendait de l’humeur du moment de Janine ». Elle accompagne également Edith Piaf pour son dernier Olympia. « Il y avait son dernier mari, Theo Sarapo, qui chantait avec elle « A quoi ça sert l’amour » et il la portait pratiquement sur scène car elle était très malade, ils s’embrassaient leurs médailles tous les deux, c’était à la fois risible et émouvant. »


A l’époque les chœurs étaient encore cachés en coulisse. « Il y a une chose qui m’a beaucoup frappée quand j’ai été voir le film « Cloclo » sur la vie de Claude François : c’est un détail mais à un moment on voit une séquence qui se passe à l’Olympia avec des choristes sur scène. C’est un anachronisme car à cette époque-là il n’y avait jamais de choristes sur scène. Je crois que c’est Gilbert Bécaud qui a commencé à mettre les chœurs en avant, mais derrière un tulle quand même. Je ne sais pas pourquoi on nous « cachait », on n’était pas plus moches que celles qu’on voit actuellement ! Quand j’ai commencé les grandes tournées des Swingle, j’ai fait moins d’Olympia, et c’est à ce moment-là qu’on a commencé à mettre des choristes sur scène, bien visibles. »


Cl. Meunier et Andy Williams
(Studio Hoche)
En studio et à la télévision (Le grand échiquier), Claudine accompagne justement Gilbert Bécaud (elle est la méchante voix accusatrice dans « L’orange »), Claude François pour ses premiers disques, le crooner américain Andy Williams, Claude Nougaro, Sheila, Virginia Vee, Petula Clark, Carlos, John William, Yves Simon, Graeme Allwright, Alan Stivell, etc. Elle fait peu de tournées (moins intéressantes artistiquement et financièrement que le travail en studio) pour des chanteurs, mais garde d’excellents souvenirs d’une en 1964 où elle accompagnait pendant un mois Sylvie Vartan avec ses copines Alice Herald et Margaret Hélian. 


Parmi les artistes avec qui elle apprécie le plus de travailler, Claudine nomme Sacha Distel mais relativise. « Les contacts avec les chanteurs solistes que nous accompagnions étaient limités car nous n’étions que des pions. A ce propos, Janine qui était très malade avait demandé à Jean-Claude Briodin qu’il fasse venir Gilbert Bécaud à son enterrement. Jean-Claude, qui avait travaillé tant de fois comme choriste pour Bécaud, avait dû passer par je ne sais combien d’intermédiaires pour arriver à le contacter. Il me disait que Janine ne se rendait pas compte que nous n’étions que des pions dans ce métier. »


Franck Pourcel
Claudine travaille de moins en moins à partir du milieu des années 70 car la mode a changé, et par conséquent les arrangeurs, la manière d’enregistrer, et les choristes aussi. Savoir déchiffrer rapidement une partition n’est plus un prérequis pour faire des séances en studio, on cherche plutôt de jeunes et jolies voix « dans le vent » adaptées à la pop de l’époque. « Je me souviens d’un chef d’orchestre comme Franck Pourcel qui était très exigent avec ses choristes. Quand il y avait quelqu’un qui ne lisait pas exactement ce qu’il y avait marqué il faisait un scandale. Je me suis dit que le métier avait vraiment changé quand je suis allée un jour au studio Pathé et que je l’ai vu en train d’apprendre la partition note par note aux choristes qui étaient là. La manière d’enregistrer avait aussi changé : on enregistrait maintenant section par section, ce qui devait coûter une fortune en heures de studio, alors que nous de notre temps on arrivait en studio, on nous mettait les partitions dans les mains, on avait cinq minutes pour la déchiffrer, et on enregistrait avec huit choristes et trente musiciens en même temps. Il fallait que tout se fasse vite, on faisait quatre titres dans une séance de trois heures. J’adorais faire des séances, parfois c’était vraiment minable, mais comme il y avait un orchestre entier on retrouvait des tas de gens, c’était marrant. En définitive dans ce métier ce sont les séances que je regrette le plus. J’ai fait des choses autrement intéressantes que ça, mais c’était surtout ça qui m’amusait.»


Ce travail d’équipe, Claudine l’aime à tel point qu’elle ne cherchera jamais à faire une carrière de soliste. « On est soliste ou choriste aussi par tempérament ». Seuls des soli parfois importants dans les groupes vocaux cités précédemment nous permettent d’apprécier sa voix à la fois douce, élégante et jazzy, mais aussi quelques doublages ou musiques de films.

Les Parapluies de Cherbourg (D. Licari, C. Legrand et C. Meunier)
Pour Les Parapluies de Cherbourg (1964), film entièrement chanté, elle fait la voix chantée de Madeleine, la deuxième compagne de Guy. Comme dans beaucoup de comédies musicales, la musique a été enregistrée avant le tournage. « Je faisais pratiquement tous les enregistrements de Michel Legrand à l’époque. Je ne me souviens plus s’il avait auditionné ou pas pour Les Parapluies. Je me rappelle un peu de l’enregistrement qui a eu lieu au Poste Parisien, 116 rue des Champs Elysées. Catherine Deneuve y assistait, elle avait vingt ans à l’époque, elle était ravissante. Il y avait aussi dans le studio une jeune comédienne de la Comédie-Française qui devait jouer le rôle de Madeleine. Mais comme il y a eu une coproduction avec l’Allemagne qui s’est décidée après l’enregistrement de la musique, ils ont imposé Ellen Farner pour le rôle. Quelques temps après je me souviens d’une soirée chez Michel Legrand, où il a fait écouter la bande entière à tous les chanteurs du film. Il y avait également une chanteuse que j’aimais beaucoup, Lucette Raillat, qui était l’épouse de Georges Blanès (voix de Marc Michel / Roland Cassard, ndlr)».


Trois ans plus tard, après des auditions chez Michel Legrand, elle fait partie de l’aventure des Demoiselles de Rochefort, en doublant Esther (incarnée par la danseuse Leslie North) dans la chanson "Marins, amis, amants ou maris". Les enregistrements se font cette fois-là au studio Davout.

Quelques années après, elle chante en soliste plusieurs chansons dans Le bateau sur l’herbe(1971), film de Gérard Brach avec une musique du contrebassiste et arrangeur François Rabbath (frère de Pierre Rabbath, chef de l’orchestre du Grand échiquier). « C’était très sympa, mais le film est passé complètement inaperçu, en tout cas de moi ! »

Claudine Meunier soliste dans des musiques de films ou doublages
Les Parapluies de Cherbourg (1964): La terrasse du café
avec les voix de José Bartel (Nino Castelnuovo/Guy) et Claudine Meunier (Ellen Farner/Madeleine)
Les Demoiselles de Rochefort (1967): Marins, amis, amants ou maris
avec les voix de Claudine Meunier (Leslie North/Esther), José Bartel (Grover Dale/Bill), Christiane Legrand (Pamela Hart/Judith), Romuald (George Chakiris/Etienne) et les choeurs (dont Jean Stout, Michel Legrand, etc.)
Dumbo (1941, redoublage de 1979): Mon tout petit
avec la voix de Claudine Meunier (Mme Dumbo) et les choeurs 


Claudine Meunier participe également à pas mal de doublages de films musicaux ou Disney (principalement pour Georges Tzipine et André Theurer), mais surtout en tant que choriste. On peut néanmoins l’entendre en soliste dans ce qui fait partie de mon « top cinq » personnel des plus belles interprétations de chansons Disney : « Mon tout petit », chanson de la mère de Dumbo dans le deuxième doublage du film éponyme effectué en novembre 1979. « Je ne me souviens plus du tout de la chanson en elle-même. Je crois que Jean Cussac venait tout juste de reprendre la direction musicale des Disney à la SPS. Je pense qu’il y avait Danielle Licari dans les choeurs. ». Claudine n’est pas créditée au générique, ni sur le disque. C’est justement en menant mon enquête pour retrouver qui doublait si merveilleusement cette chanson que j’ai été mis en contact avec elle grâce à mes amies choristes Jocelyne Lacaille (qui a reconnu la voix de Claudine) et Hélène Devos (ex-Swingle et Double Six). 


Claudine Meunier a pris assez tôt sa retraite. « J’ai perdu complètement ma voix. Parfois il sort un filet d’air mais pas grand-chose de plus. Si j’avais continué à travailler j’aurais essayé de corriger ça, de voir un orthophoniste. Mais ça ne me manque pas, je n’ai aucune nostalgie. »

Elle occupe son temps en faisant des patchworks, en allant très régulièrement au cinéma, en voyant beaucoup de DVD de films musicaux, en se mettant courageusement à l'ordinateur et internet, et en écoutant de la musique : « J’écoute surtout du jazz. Des big bands, des ensembles vocaux… et Franck Sinatra que j’admire énormément. »

BONUS 1: Interview des Swingle Singers par Roger Couderc en 1968
avec Ward Swingle, Christiane Legrand, Jeanette Baucomont, Hélène Devos, Claudine Meunier, Jean Cussac, José Germain et Daniel Humair 



BONUS 2: Quincy Jones retrouve en 1984 les Double Six de ses débuts
avec Jean-Claude Briodin, Claudine Meunier, Claude Germain, Mimi Perrin, Gilles Perrin et Quincy Jones



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Anne Germain : « Chanter la vie, chanter les fleurs, chanter les rires et les pleurs » (Partie 1/6)

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Elle a prêté avec grand talent sa voix à Catherine Deneuve pour les chansons des Demoiselles de Rochefort et de Peau d’âne, interprété le générique de L’île aux enfants, fait partie des Swingle Singers (lauréats de plusieurs Grammy Awards), accompagné les plus grand artistes sur scène et en studio (Léo Ferré, Barbara, Charles Trénet, etc.). En plus d’être l’une des plus belles voix de ce métier, Anne Germain en est également par sa culture et sa mémoire un témoin passionné et passionnant. Rare en interview, elle a accepté de répondre à mes questions et de nous offrir ainsi ce bel entretien. 

Série d’entretiens réalisés entre le 16/02 et le 27/03/14.
Remerciements à mes fidèles amis et « partenaires de recherches » Gilles Hané, Greg Philip (blog Film Perdu), François Justamand (La Gazette du Doublage), Jean Letellier (Radio Enghien), Serge Elhaïk (France Musique) et Alaric Perrolier pour nos échanges d’informations, photos, disques, vidéos, etc.


Dans l’ombre des studios : Anne Germain, vous êtes née à Paris au printemps...

Pour paraphraser Céline dans Mort à crédit, « Je suis née en avril, c’est moi l’printemps » !

DLODS : Etes-vous issue d’une famille d’artistes ?

Pas de professionnels en tout cas. Papa n’était pas musicien. Maman, ses frères et sœurs avaient le goût et le sens du chant ; mon grand-père maternel avait une voix splendide, les gens venaient des villages éloignés pour l’écouter lorsqu’il chantait à la messe dans leur village d’Auvergne. Malheureusement, aucun d’eux n’a pu suivre d’études musicales.

Raymond Asso
Mes parents étaient hôteliers. Ils ont eu à diriger à Montmartre un joli hôtel avec jardin, assez rare à Paris. Je suis née là donc : Basque par papa, Auvergnate par maman et Montmartroise de naissance, le droit du sol, vous savez ? Beaucoup d’artistes ou écrivains y ont séjourné plus ou moins longtemps avant et après la guerre : Pierre Mac Orlan, Raymond Asso (ancien compagnon d’Edith Piaf, auteur des chansons « Mon Légionnaire », « Comme un petit coquelicot », etc.), Charles Trénet, Michel Simon, Frédéric Apcar –danseur et futur directeur du Dunes à Las Vegas qui y fit venir Line Renaud-. Après-guerre Dario Moreno qui nous empruntait notre piano –car je faisais du piano alors- et que le jeune Michel Legrand venait faire répéter –je n’aurais jamais imaginé qu’un jour je deviendrais son interprète !-, Robert Chauvigny aussi un remarquable pianiste accompagnateur d’Edith Piaf à qui je dois d’avoir travaillé le chant, Roger Corbeau grand photographe de plateau pour le cinéma. Nous avons donc été imprégnés très jeunes par cet esprit artiste.

DLODS : Vos parents écoutaient quels styles de musique ?

C’était surtout maman qui chantait des mélodies anciennes ou des airs d’opérettes : La veuve joyeuse, Le pays du sourire et autres. Le chant c’était un besoin vital mais ils n’avaient guère de loisirs pour écouter de la musique, trop cloués par le travail. Après la guerre nous avons eu enfin un tourne- disque. Avec mon grand frère qui était un fou de musique nous écoutions de tout. Une amie pianiste qui venait de Lyon prendre des cours avec de grands maîtres répétait chez nous et nous étions gorgés de fugues de Bach et d’études de Chopin ou Debussy.

Pendant la guerre, l’hôtel a été réquisitionné par l’armée allemande puis après sont venus les Américains : parmi les soldats certains étaient musiciens et avaient avec eux des petits albums de musique de variété jazzy. Quand ils ont entendu le piano ils ont demandé à maman la permission de l’utiliser. Ils nous ont fait découvrir « In the mood », « Chattanooga choo choo » et autres « Moonlight Serenade ». Mon frère et notre amie pianiste déchiffraient ces partitions.

Mon frère a ensuite fait une récolte de tous les disques 78 tours que l’on trouvait alors. Nous écoutions Duke Ellington, Fats Waller dont je « reproduisais » les morceaux d’oreille et aussi Dinu Lupatti ou Walter Gieseking pour le classique, en chant c’était Catherine Sauvage, les chansons de Prévert et Kosma, Piaf aussi bien que Victoria de los Angeles, Mouloudji et Mario Lanza ! Nous avons aussi découvert les groupes vocaux américains à cette époque. Mon frère et des copains de collège avaient formé un petit groupe vocal dès ce temps-là qui chantait alors des chansons traditionnelles françaises.


Glenn Miller : In the mood (1939)

DLODS : Comment s’appelait ce groupe ?

Un groupe vocal allemand d’avant-guerre qui reproduisait des instruments de musique dans certains titres les avait marqués : les Comedian Harmonists. Il y avait aussi Ray Ventura et ses Collégiens, ils se sont donc nommés les « Collégiens Harmonistes ». A la Libération il y a eu une explosion de nouveaux artistes, c’est l’époque de La Rose Rouge, du Lorientais, du Tabou, et autres caves. Mon frère et ses copains ont découvert Léo Ferré inconnu qui chantait chez Francis Claude au Quod-Libet, une cave rue du Pré-aux-Clercs, ces collégiens ont sympathisé avec eux, Ferré leur a confié quelques partitions et le groupe à commencer à les ajouter à leur répertoire. Certaines co-écrites avec Francis Claude sont hélas oubliées aujourd’hui : il y en a qui conviendraient bien à Bernard Lavilliers : « Regardez-les défiler », « Les métros vont, les métros viennent », « La Chambre », « La vie d’artiste », etc. Francis Claude a ensuite ouvert une autre « boîte » au Palais Royal, Le Milord l’Arsouille, où les garçons venaient chanter quand ils voulaient en « copains ». Ont débuté là Serge Gainsbourg –je ne me doutais pas qu’un jour je travaillerais pour lui en soliste pour son film Cannabis-, Claire Leclerc que j’ai retrouvée des années après dans les studios avec les Angels ou les Barclay, et Michèle Arnaud.

DLODS : Comment avez-vous intégré le groupe de votre frère ?


The Mills Brothers
J’ai remplacé un des garçons, le ténor qui ne pouvait plus venir répéter. Un groupe vocal nous avait beaucoup marqués après la guerre, c’étaient les Mills Brothers. C’étaient nos idoles avec le Golden Gate Quartet, mais pour chanter leurs titres ce n’était pas facile, on ne trouvait pas les partitions : j’aidais mon frère à relever d’oreille, quelle école ! Il y en a qui ont une bonne vue, moi c’était l’oreille ! Ensuite nous avons dévoré des negro-spirituals, un vrai bonheur de chanter ça, et naturellement tout a capella. J’avais seize ans à l’époque, c’est loin mais je n’ai pas oublié grand-chose ! En France et en Europe même à cette époque personne ne chantait ce répertoire. A Milord un soir nous avons été écoutés par le compositeur américain Vernon Duke (« Autumn in New York »). Il a dit à Francis Claude « C’est le meilleur groupe vocal que j’ai entendu en Europe !». C’est formidable car nous faisions ça par passion en plus des études et en complets amateurs. La musique et surtout chanter c’était un besoin vital dans notre ADN sans doute ! Nous avons fait un soir un très beau concert salle Gaveau avec la chorale « A cœur joie » en intermède. J’ai donc commencé très tôt dans le groupe vocal sans imaginer que j’allais bientôt être une professionnelle dans cette activité.

DLODS : Est-ce à cette époque que vous avez connu votre mari, le regretté compositeur, pianiste et chanteur Claude Germain ?

Un peu après, à dix-sept ans et demi, par un voisin qui était son ami depuis l’Ecole Supérieur de Musique. Claude quand je l‘ai connu était alors un pianiste et un musicien confirmé : harmonie, etc. Il était dans cette école avec le frère de cet ami qui fut le pianiste de Fernand Raynaud, et aussi Maurice Vander, le célèbre pianiste de jazz accompagnateur de Claude Nougaro, etc. Une pépinière de futurs musiciens de studios !

Quand j’ai connu mon mari, je chantais déjà tout ce que j’aimais sans me préoccuper si c’était mauvais pour ma voix. Les standards américains : Sarah Vaughan, Doris Day mon idole… Je chantais en m’accompagnant au piano avec les harmonies d’oreille. Un jour bien plus tard j’ai esquissé quelques notes en studio sur un super Steinway me croyant toute seule. Michel Legrand est sorti de la cabine à ce moment-là et m’a juste dit « Mais Anne, il faut travailler avec Nadia Boulanger ! » (sa grande prof et LA grande prof du Conservatoire). Bref, ce n’était pas mon destin sans doute !

Claude Germain
Bien avant les studios j’ai eu l’occasion d’être engagée dans l’orchestre dont Claude faisait partie. C’était un orchestre de danse. J’avais vingt ans et suis donc devenue professionnelle : débuts au Casino du Touquet qui était très élégant. Nous faisions l’hiver beaucoup de galas, des bals pas toujours splendides mais c’est le métier. Nous avons travaillé aussi tout un hiver dans le magnifique Casino d’hiver de Cannes, celui qui a été sacrifié pour l’horrible « bunker » d’aujourd’hui, puis aussi un été au Palm Beach, celui de Mélodie en sous-soldéglingué aussi aujourd’hui avec des machines à sous ! Là c’était avec un orchestre formé pour l’occasion par André Paquinet et Benny Vasseur, deux grands trombonistes et camarades de rêve, un très bon souvenir pour moi, mais pas de suite pour moi les années suivantes pour cause de bébé. C’est Bob Martin qui m’a remplacée. J’ai souvent travaillé avec André et Benny dans les studios à la belle époque où nous enregistrions tous ensemble ! C’est grâce à eux que j’ai fait mon tout premier enregistrement de chanson en 1958 au studio Barclay qui venait juste d’être construit. Trois titres : « Have you met Miss Jones », « Tout bas, tout bas » et « Small Hotel » pour un disque de leur orchestre, les Trombone Paraders. Belle époque car c’était beaucoup plus vivant que plus tard où l’on a commencé à enregistrer les uns après les autres, dans une ambiance de glace.


Anne Germain & The Trombone Paraders : Small Hotel (1958)
Tout premier enregistrement d'Anne Germain pour un disque, Jazz à la Fiesta restauré récemment par la BNF




DLODS : Nous n’avons pas parlé de votre formation. Vous avez eu comme professeur de chant une grande cantatrice, Ninon Vallin…


Oui elle m’a fait travailler quelques temps après la mort de mon premier prof mais ce n’était pas un bon professeur pour une débutante comme moi. Barbara Hendricks disait cela de l’immense Maria Callas, qu’elle n’était pas une bonne enseignante. C’est souvent le cas de très grands interprètes qui ne savent pas former les autres. Je devais présenter le concours d’entrée au Conservatoire et avais déjà auditionné devant un des profs qui suite à l’audition me voulait déjà dans sa classe. L’audition avait eu lieu au conservatoire devant ses élèves mais ma prof est morte et le choc m’a tellement cassée que je me suis sentie incapable de me préparer toute seule : trop peu entraînée encore. Quelques mois après, c’était la mort de maman !

Ninon Vallin
A propos de ma première professeur de chant, j’ai une anecdote : elle m’avait conseillé de prendre des leçons de claquettes –j’avais déjà pris des cours de danse plus jeune- car elle avait parmi ses élèves Francis Linel qui travaillait les claquettes dans un cours que fréquentaient beaucoup d’artistes. Il y avait là parfois Roger Pierre et Jean-Marc Thibault, Jean-Louis Tristan, le Trio Marny (harmonica), Suzanne Gabriello, etc. et un jeune très élégant dans son allure de danseur qui était la vedette du cours et qui était aussi apprenti comédien au Cours Simon, un autre très gentil et super timide comme moi, qu’à mon immense étonnement j’ai revu des années après passant au programme en vedette américaine à L’Alhambra ! Je l’avais perdu de vue depuis le cours de claquettes : c’était Raymond Devos ! Le si effacé, qui allait être en un rien de temps l’immense vedette de music-hall ! L’autre qui s’appelait alors Jean-Pierre Crochon est devenu célèbre aussi et s’est appelé Jean-Pierre Cassel. Je n’ai pas gardé de contacts avec eux car leur célébrité m’a paralysée. Je n’ai jamais osé aller trouver Raymond et lui rappeler les souvenirs du cours de Jacques Vernon, rue La Bruyère. Jean-Pierre je l’ai croisé quelques fois dans le métier au cours d’émissions de télé, mais il était alors trop connu. Il m’a reconnue pourtant et a toujours été sympa, mais nous n’avons pas eu d’autres contacts.


DLODS : Comment de chanteuse d’orchestre êtes-vous devenue choriste dans la variété ?


Par des camarades musiciens entrés avant moi dans ce circuit et qui m’ont introduite dans ce cercle très fermé des musiciens de studio appelés les « requins » d’ailleurs, c’est dire ! Il y avait déjà quelques groupes vocaux à peu près constitués comme les « Blue Stars » dans le style des groupes vocaux américains très à la mode dans les années 56, 57, etc. Il commençait aussi à y avoir beaucoup de séances d’enregistrement, ça a décuplé encore avec l’arrivée des yéyés. Merci à eux car de ce fait il y a eu beaucoup de travail. Les jeunes arrangeurs comme Michel Legrand avaient besoin de gens qui lisent très bien la musique, qui chantent juste mais surtout pas de voix lyriques. J’ai ainsi travaillé avec les meilleurs de ce métier, les Christiane Legrand, Janine de Waleyne, Mimi Perrin, Ward Swingle, Jean-Claude Briodin, etc. Quand Mimi a eu l’idée des « Double Six » elle a demandé à mon mari Claude d’intégrer le groupe après des essais non concluants avec d’autres, puis il y a eu les prestigieux « Swingle Singers ». Ces deux groupes ont obtenu les plus glorieuses récompenses, surtout aux Etats-Unis. Après l’orchestre j’étais dans la cour des grands ! Mais j’aimais quand même bien chanter en orchestre.


Pour lire la suite de l'entretien, vous pouvez cliquer ici.
(Plan: Partie 1: enfance, formation, chanteuse d'orchestre; Partie 2: choeurs pour des chanteurs de variété; Partie 3: enregistrements solistes; Partie 4: groupes vocaux; Partie 5: musiques de films; Partie 6: doublage, compositions)
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Anne Germain : « Chanter la vie, chanter les fleurs, chanter les rires et les pleurs » (Partie 2/6)

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(Plan: Partie 1: enfance, formation, chanteuse d'orchestre; Partie 2: choeurs pour des chanteurs de variété; Partie 3: enregistrements solistes; Partie 4: groupes vocaux; Partie 5: musiques de films; Partie 6: doublage, compositions)





Anne Germain

Dans l’ombre des studios : Fin années 50 - début années 60, grand "boum" de l'industrie du disque: éclosion de nouveaux talents, avec ainsi énormément de travail pour les choristes et musiciens de studio qui enchaînent plusieurs séances d'enregistrement par jour, arrivent parfois au studio sans savoir pour qui ils vont jouer et doivent déchiffrer une partition en moins de cinq minutes. Vous souvenez-vous de la toute première séance de chœurs que vous avez faite ?

Oui, c’était pour Franck Pourcel et son grand orchestre : il y avait là une grande chorale. Les « groupes » dont je viens de parler faisaient une grève pour obtenir un cachet identique à celui des autres instrumentistes et correspondant à leur prestation de petit ensemble, travail exigeant beaucoup plus de perfection et de précision que dans un grand ensemble où les défauts ici ou là sont plus dissimulés. Alors un camarade m’avait envoyé là pour une première fois, que je découvre comment se passait une séance de studio. C’était pour Pathé-Marconi dans les studios du réalisateur Jean-Pierre Melville, rue Jenner. Ensuite j’ai continué petit à petit à faire ma place. Pour Hubert Rostaing chez Philips boulevard Blanqui qui n’existe plus, non plus que Barclay avenue Hoche et les autres.

DLODS : Quel est le premier chanteur que vous avez accompagné ?

Dans les tous premiers je me souviens d’Henri Salvador qui était chez Barclay, il ne se produisait pas encore. C’était donc avenue Hoche dans ces très beaux studios ; j’étais alors enceinte de ma seconde fille Isabelle qui allait quelques années plus tard chanter notamment dans Les Aristochats (1970). Plus tard un jour en séance Henri m’a dit « Pourquoi ne fais-tu pas un tour de chant ? Tu gagnerais beaucoup d’argent et tu pourrais te payer des servantes ! » (rires). C’est le temps où Eddie Barclay avait engagé un jeune arrangeur américain débutant, Quincy Jones, et nous avons travaillé avec lui souvent, notamment pour le chanteur américain Andy Williams, une belle voix de crooner et charmant. C’est le moment où sont vraiment nés les Double Six et où ils ont enregistré leur premier disque Meet Quincy Jones qui a estomaqué tout le monde par la qualité époustouflante de la performance. Gloire à eux dont tant sont aujourd’hui « over the rainbow » !


Henri Salvador et les Angels : Count Basie (1966)
Au centre: Henri Salvador. Choristes de gauche à droite: Jean-Claude Briodin, Louis Aldebert, Anne Germain, 
Danielle Licari, Bob Smart et Jacques Hendrix 

 

DLODS : Dans un Palmarès des Chansons en 1966, vous faites partie des Angels et accompagnez Henri Salvador dans « Count Basie ». L'arrangement des voix est superbe.

Oui, Anne-Marie Peysson nous a présentés comme étant les Angels –le groupe formé chez Pathé par Christian Chevallier qui d’ailleurs était au piano- mais ce soir-là, des Angels d’origine il n’y avait que Jean-Claude Briodin et Jacques Hendrix, mais j’avais pour ma part bien enregistré la chanson que nous interprétions en accompagnement d’Henri Salvador, le fameux « Basie » quelques temps plus tôt au mythique studio Charcot (disparu lui aussi). Nous avions alors réalisé l’exploit de « mettre en boîte » ce titre en vingt minutes pendant les quarts d’heure supplémentaires.  La séance avait été consacrée à des titres très « commerciaux » auxquels Jacqueline Salvador, épouse et productrice tenait davantage car cela avait « boosté » la carrière d’Henri, mais lui tenait particulièrement à ce titre car c’était du jazz et il se faisait plaisir, seulement les suppléments de cachets faisaient faire la grimace à Jacqueline (rires) : « Va pour faire ce dernier titre, mais vive vite ! ». Un exploit, mais il y avait une équipe plus qu’à la hauteur, Double Six et Swingle mélangés ! Cela dit, le soir de l’émission c’était tout aussi nickel, avec du « beau monde » : Danielle Licari, Jean-Claude Briodin, Bob Smart, Louis Aldebert et Jacques Hendrix.

DLODS : J’aimerais qu’on évoque maintenant quelques chanteurs en particulier…

Oh bigre, il ne faut pas que j’en oublie ! (rires)

DLODS : Léo Ferré…

Je l’ai accompagné pour la première fois à L’Alhambra fin 1961. Jean-Michel Defaye son magnifique arrangeur avait constitué une petite formation avec deux pianos (dont Paul Castanier, pianiste aveugle), une rythmique, un accordéon et douze choristes -six femmes et six hommes-, c’était superbement écrit pour les voix comme toujours avec Jean-Michel Defaye et il y avait une force émotionnelle encore plus forte qu’avec des cordes. C’était un spectacle inoubliable avec ces textes sublimes d’Aragon, de Ferré ou Jean-Roger Caussimon. L’une d’elle s’intitulait « la gueuse », c’est-à-dire la République. « T’as ton fichu qu’est tout fichu, la gueuse », et la femme de Léo dans un coin de la scène, assise sur un tabouret, tricotait une écharpe bleu blanc rouge qui s’allongeait chaque soir car elle tricotait pour de vrai. « Encore un mois et elle atteindra les premiers rangs d’orchestre ! » pensions-nous. Y a-t-il des gens qui s’en souviennent…

DLODS : Vous avez également accompagné un tout jeune débutant…

Un jour avec trois collègues nous sommes allées faire une séance pour un jeune dont on commençait à entendre beaucoup parler et qui allait bientôt « casser la baraque » comme on dit : Johnny Hallyday. Il était encore chez Vogue et avait à peine dix-neuf ans vers février 1962. Malgré son répertoire tonitruant il paraissait réservé, timide même. Nous avons eu l’occasion en 1965 de l’accompagner à l’Olympia avec l’orchestre de Jacques Denjean, avec Danielle Licari et Jackie Castan. Nous ne chantions pas le dernier titre du coup nous restions derrière le rideau du fond de scène pour le regarder car il était magnifique : vingt-deux ans ! C’était un phénomène de scène et il l’est resté toute sa longue carrière. Il a prouvé ensuite qu’il était aussi un très grand interprète avec une voix indestructible qu’il n’a pourtant pas ménagée ! Il faut l’entendre dans « L’hymne à l’amour » ou « Ne me quitte pas », il n’y a que lui qui pouvait rendre l’intensité émotionnelle de ces deux chansons avec cette authenticité et justesse. Inutile de vous dire combien je l’admire notre Johnny !

DLODS : A l’époque, pourquoi les choristes étaient-ils « cachés » dans les coulisses ?

Nous n’étions pas « cachés » dans les coulisses mais en retrait, juste au bord de la scène pour une question de prise de son : il n’y avait pas le matériel d’aujourd’hui permettant de « sortir » les voix au milieu des cuivres, de la rythmique et même des cordes, car à l’époque il y avait un orchestre permanent à l’Olympia avec des cordes.

 Sheila : Pamela (1967)
Choristes de g. à d. : Christiane Cour, Alice Herald, Anne Germain, Françoise Walle, 
Jacques Hendrix, Bernard Houdy, Claude et José Germain

 

DLODS : Dans les « yéyés », vous avez aussi beaucoup travaillé pour Sheila, pour qui vous avez même été responsable des chœurs…

Les tous premiers Sheila c’était Christiane Legrand qui convoquait les choeurs pour le chef d’orchestre Jean Claudric. Christiane était beaucoup plus connue que moi. Ensuite quand j’ai quitté les Swingle, Jean m’a demandé de convoquer mais vous savez, c’était tantôt l’un ou l’une. Claude Carrère, le producteur de Sheila, était très exalté, il croyait en son poulain ! En émission, il grimpait derrière les cameramen sur le marchepied de la caméra mobile pour suivre Sheila dans le moindre de ses déplacements et lui faire des grands signes, ce n’était pas l’idéal pour la concentration (rires) ! Pour les chœurs, il s’était entiché de la grande voix de basse de Jean Stout (la voix française chantée de Baloo dans Le Livre de la Jungle, ndlr) et le demandait avec insistance. Jean était un garçon grand et puissant, aussi Claude Carrère me disait « Amène-moi le bûcheron ! Amène-moi le bûcheron ! » (rires). Sheila était la plus charmante des yéyés, simple et naturelle, ne jouant jamais les stars. Une autre qui était aussi très gracieuse, c’était Mireille Mathieu.

DLODS : Vous avez aussi accompagné Claude François. Etait-il très dirigiste avec ses choristes ?

Avec nous, l’ancienne équipe, jamais. On l’a dit pour ceux d’après : orchestre, choristes, danseuses. Mais avec nous non, jamais désagréable ni méprisant au contraire. J’ai eu l’occasion de faire son dernier show à l’Empire et nous nous sommes envoyé des bises à travers le grand escalier roulant « -Alors tu chantes bien, hein, tout à l’heure ! » « -Evidemment Claude, comme toujours ! ». Il y avait Françoise Walle à côté de moi. C’est la dernière fois que nous lui avons parlé si sympathiquement car il est mort deux jours après. Oui il nous respectait bien car il savait que nous avions fait les Double Six et les Swingle Singers, donc autre chose que des « douwap douwap »!

DLODS : Sur quels titres l’avez-vous accompagné en studio?

« Belles, belles, belles», «  Marche tout droit », « Si j’avais un marteau », « Pauvre petite fille riche »,  « Le jouet extraordinaire », « Quand un bateau passe » (de Burt Bacharach), etc. Jusqu’à ce qu’il ait un groupe attitré, alors nous faisions seulement les séances où il fallait des voix en plus.

DLODS : Avez-vous accompagné des « grands anciens » de la génération de Charles Trénet ?

Oui j’ai eu le temps de travailler pour la dernière séance à ma connaissance de Maurice Chevalier avec Caravelli (pour CBS à Charcot), Tino Rossi dont nous avons fait aussi le dernier Casino de Paris plus un an de galas dans toute la France –ambiance super sympa avec de bons camarades- et dans le calme ! Charles Trénet, que nous avons accompagné pour son dernier Olympia avec Danielle Licari, Jackie Castan, Jean Stout et d’autres avec Roger Pouly au piano. Nous pensions qu’à la première il y aurait le Tout-Paris, tout le métier, que des « fans ». En effet ce fut du délire, un triomphe. Mais ce qui nous a « soufflés » c’est que les semaines suivantes avec du « vrai » public populaire ça a été pareil. Nous avons fait quelques années après un autre spectacle au Théâtre du Rond-Point, une sorte d’hommage, salle archi pleine et un maximum de jeunes. Lorsqu’il a chanté « Voulez-vous danser Marquise ? » c’était extraordinaire, il était déjà âgé mais quelle jeunesse, quelle fantaisie, quelle finesse, un talent sans doute inégalé. La salle était emballée comme je l’ai rarement vue.

J’ai également accompagné le charmant Jean Sablon, notre premier crooner ! J’ai un souvenir délicieux de ce « gentleman ». Nous étions allés répéter chez lui pour une émission de télévision où nous devions chanter « La chanson des rues ». Nous étions à l’image des passants qui s’attardaient autour du chanteur des rues justement comme cela se faisait dans le temps. Ensuite le chanteur vendait les petits formats, paroles et musique de la chanson. Aujourd’hui, plus de chanteurs de rues, ils sont remplacés par internet !

Sans quitter trop Jean Sablon, mon mari a travaillé pour Mireille qui fut sa partenaire autrefois. Claude avait été contacté par Michel Berger qui produisit son dernier disque avec entre autres « J’ai changé mon piano d’épaule », une très jolie chanson pleine d’une nostalgie délicate. Mon mari et Michel Berger s’entendaient très bien car tous deux discrets et bien élevés, en plus Claude écrivait super bien les cordes en particulier ce que Michel Berger appréciait beaucoup car il avait sa rythmique qui enregistrait à part.

DLODS : Jacques Brel avait peu de chœurs dans ses chansons, mais l’avez-vous accompagné par exemple dans « Les remparts de Varsovie » ?

Je ne crois pas, je m’en souviendrais ! Jacques Brel, quand même ! Par contre avec Janine de Waleyne nous avons fait « Rosa, rosa, rosam ».

Photo dédicacée par Gilbert Bécaud
1er groupe de choristes: ?, ?, A. Rippe et C. Cour
2e groupe de choristes: A. Germain, J. de Waleyne,
B. Houdy et B. Smart
DLODS : Et Gilbert Bécaud ?

Pour Gilbert Bécaud c’était Janine qui nous convoquait. Nous avons fait souvent ses spectacles à l’Olympia. Quel tour de chant ! Que de belles chansons tellement diverses  :« Seul sur son étoile » , « La vente aux enchères » avec le violoneux canadien Monsieur Pointu, « Dimanche à Orly », « L’important c’est la rose », « Les cerisiers sont blancs », et naturellement toutes les séances. On ne peut toutes les citer, aucune n’est médiocre. Une qui nous avait particulièrement frappés par son originalité –peut-être trop, et pas assez commerciale- et qui n’a pas eu de succès,  « Dieu est mort », sur des paroles de Pierre Delanoë. Tout va mal sur terre, les hommes ne savent pas quoi faire, alors il faut aller voir le bon Dieu pour lui demander des comptes. Et à la fin de la chanson les hommes arrivent dans un édifice où Dieu habite. « Ils suivirent de longs couloirs, un huissier en costume noir leur dit : "Messieurs vous venez tard, vous venez tard. Depuis ce matin à l'aurore, Dieu est mort." ». Image très frappante… C’est une chanson dure mais magnifique.


Gilbert Bécaud: Les cerisiers sont blancs (1968)
Choristes de g. à d. : Anne Germain, Danielle Licari et Jackie Castan 


DLODS : On vous voit dans des images d’archives accompagner Gilbert Bécaud à la télévision avec Danielle Licari et Jackie Castan dans la chanson « Les cerisiers sont blancs ». Il vous fait la « bébête qui monte » et semble avoir un petit faible pour vous !

C’était trop mignon, mais il a fait ça comme ça dans l’envol de l’interprétation –et parce que je me trouvais le plus proche de lui sur le plateau- et non pas à cause d’un « faible » pour moi ! Toutes ces vedettes nous aimaient bien tant qu’on faisait bien ce qu’elles attendaient de leurs accompagnateurs. Mais quand il leur prenait l’envie de changer d’équipe pour des questions de mode ils n’avaient plus beaucoup de sentiments !

DLODS : Vous avez également fait partie des choristes de « Charlie t’iras pas au paradis »…

Oui c’était avec Jean-Claude Petit devenu très à la mode par ses arrangements pour Julien Clerc (« La cavalerie », etc.) très réussis. Alors tout le monde l’a demandé. C’était un travail passionnant grâce à la diversité des artistes que nous accompagnions, malgré beaucoup de travail et la course d’un studio à l’autre.

DLODS : En dehors d’Andy Williams dont on parlait précédemment, avez-vous accompagné sur scène ou en studio des vedettes internationales ?

Lors du Midem à Cannes nous avons accompagné Tom Jones je crois bien. Il y a eu aussi un célèbre compositeur de musiques de films anglais, je pense John Barry, qui devait diriger le grand orchestre de Raymond Lefevre et interpréter un « pot-pourri » de tous les tubes de ses films. Il n’y avait pas eu de temps pour répéter ça, et nous avions une partition de deux mètres de large pliée en accordéon que l’on dépliait au fur et à mesure, le tout en déchiffrage à vue ! Heureusement que c’était avec deux très bonnes musiciennes et lectrices, Jackie Castan et Danielle Licari. Nous avons « assuré » comme on dit !

DLODS : Pensez-vous à d’autres personnalités ?

Hélas, j’ai « loupé » Frank Sinatra à Monte-Carlo, un grand gala où il était venu chanter pour son amie la princesse Grace et pour quoi était descendu le Grand orchestre d’Eddie Barclay avec à sa direction Quincy Jones qui travaillait pour Barclay à l’époque, plus des chœurs dont l’équipe des Double Six, mais je n’ai pas pu en faire partie pour cause de grossesse. Par contre, j’avais eu l’occasion de le rencontrer et même d’obtenir un autographe sur une partition de piano d’une chanson de son répertoire, « How about you », que je chantais quand j’étais chanteuse d’orchestre et dont mon mari avait relevé l’arrangement d’après le disque. C’était au Casino du Palm Beach à Cannes, avec l’orchestre de Benny Vasseur et André Paquinet dont je vous ai déjà parlé. Sinatra était venu en « client » mais l’entrée des jeux lui avait été interdite car il n’avait pas son passeport ! La loi était alors très stricte, Sinatra ou autre ! Il était assez furieux. Un maître d’hôtel nous avait prévenus de la « visite » de la star et je n’ai trouvé que cette partie de piano –ce dont mon mari avait eu l’idée géniale en l’absence de photo- pour essayer d’obtenir un autographe. Nous avons réussi avec le maître d’hôtel qui m’accompagnait à l’intercepter alors qu’il s’en retournait –très mécontent- entouré d’une équipe sortie d’un film de Coppola : nanas en direct de Las Vegas et gardes du corps du même style « pas tibulaires, mais presque » aurait dit Coluche !  Il m’a jaugée de la tête aux pieds d’un regard bleu et avenant comme de l’acier trempé, a jeté un regard intéressé tout de même sur la partition, l’a dédicacée quand même - mais juste sa signature, pas de « sincerely yours », rien !-  et est reparti sans me demander de la chanter ! Heureusement, mon Dieu ! Voilà ma grande rencontre avec Frankie (rires). Eh bien je préfère notre beau Johnny, y a pas photo comme on dit !

Je ne me suis pas retrouvée non plus dans les chœurs de Sammy Davis Jr quand il est venu à l’Olympia. Nous étions dans la salle cette fois avec ma famille. Un très grand souvenir d’un géant de la scène : chant, danse, mime, époustouflant !



Pour lire la suite de l'entretien, vous pouvez cliquer ici.
(Plan: Partie 1: enfance, formation, chanteuse d'orchestre; Partie 2: choeurs pour des chanteurs de variété; Partie 3: enregistrements solistes; Partie 4: groupes vocaux; Partie 5: musiques de films; Partie 6: doublage, compositions)
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Anne Germain : « Chanter la vie, chanter les fleurs, chanter les rires et les pleurs » (Partie 3/6)

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Dans l’ombre des studios : Parlons maintenant de différentes expériences solistes que vous avez eues, à commencer par les duos que vous avez enregistrés, notamment « La jeune fille et le commissaire » !

Christian Chevallier qui avait composé la musique a pensé à moi pour donner la réplique à Hugues Aufray, c’était sa première épouse Vline Buggy la parolière entre autres de « Belles, belles, belles » qui en avait écrit le texte. Ca avait un petit côté « Parapluies de Cherbourg » romantique et dramatique très loin de « Santiano », ça n’a pas eu l’accueil mérité. On l’a enregistré de nuit dans les beaux studios Barclay de l’avenue Hoche, disparu lui aussi avec tous les autres : Philips, Pathé, Polydor, etc. comme dans la chanson de Gainsbourg : « disparus Brian Jones, Eddy Cochran, Janis Joplin, T-Rex, Elvis… ». Très triste quand même !

 Hugues Aufray et Anne Germain: La jeune fille et le commissaire (1968)


J’ai aussi enregistré un autre duo avec un partenaire célébrissime mais sans sa présence, donc un duo toute seule ! On m’a appris une fois enregistré qu’il s’agissait de Jean Gabin. Sans doute ne voulait-il personne à ses côtés. On m’a ensuite demandé d’enregistrer la version en anglais tout ça en minaudant à la façon Jane Birkin que sans doute les producteurs n’avaient pu s’offrir ! Dans ce disque c’est surtout le titre « Maintenant, je sais » qui a été la coqueluche des programmateurs en radio, dommage car « Maître Corbeau et Juliette Renard » est une chanson très jolie, et une version très originale de la fable. J’ai beaucoup aimé la chanter car c’est encore tout autre chose que Peau d’âne et les Demoiselles de Rochefort ou les Swingle ! Et puis on y entend un Jean Gabin tout en finesse et en malice loin de la nostalgie de l’autre chanson.

Il y a eu aussi quelques duos pour l’émission de radio de Jean-Christophe Averty Les cinglés du music-hall avec le grand Georges Rabol au piano : d’abord Bob Martin qui m’avait introduite dans l’émission, une fois avec Pierre Louki, et quelques fois avec le comédien récemment disparu Sacha Briquet qui chantait très bien.

DLODS : Contrairement à d’autres choristes, vous n’avez jamais eu peur de « transformer » votre voix…

J’ai sans doute malmené ma voix mais c’est parce que j’ai toujours donné priorité au style, au caractère et à l’esprit de la musique et du texte. Parfois j’ai un peu forcé et alors les cordes vocales en prennent un coup. Ou alors, après, il faut le repos vocal et refaire des exercices pour tout remettre en place, ce que je n’avais pas le loisir de faire. Mais changer ma voix ce n’était pas toujours dangereux quand ce n’était qu’une fois comme dans une émission de télé où j’ai « doublé » Dalida en faisant la seconde voix qu’elle avait chantée en studio pour son disque, mais qu’elle ne pouvait faire en direct sur le plateau. Son frère Orlando était épaté : « On aurait Dali ! On aurait dit Dali ! »(rires).

Par contre j’ai enregistré un jour une série de « covers » pour un copain et il y avait la chanson de Barbara Streisand « Woman in love » où elle « gueule » littéralement. Il a fallu la faire trois fois pour une histoire de réglage de son, alors là je me suis fait mal. J’avais recommencé à travailler ma voix avec une merveilleuse prof, Mme Decrait, la maman d’Eliane Victor de l’émission Les femmes aussi. Elle était furieuse ! « Ah, il va falloir tout recommencer ! ». C’est arrivé à de grands chanteurs ou chanteuses même du lyrique d’avoir des problèmes graves pour avoir forcé ou chanté sur la fatigue : polypes à opérer, rééducation, obligés de décommander des concerts ! Enfin, j’ai tout de même tenu assez longtemps malgré mes acrobaties et imprudences…

INEDIT EN CD: Jean Gabin et Anne Germain : There's no fool like an old fool (1974)
Pour écouter la chanson originale ("Maître Corbeau et Juliette Renard"), rendez-vous sur Bide et Musique


DLODS : Pouvez-vous me parler de ces reprises (« covers » dans le jargon du disque) dans lesquelles vous vous êtes formidablement imprégnée du style des interprètes originaux ?

J’en ai fait beaucoup. De l’«alimentaire » comme on dit, pour des maisons de disque comme Musidisc ou publicitaire comme Multitechnique qui avaient l’autorisation des producteurs d’origine de reprendre sur un seul 33 tours une sélection des « tubes » du moment : un Sheila, un Annie Cordy, un Dalida, un Mireille Mathieu, un Françoise Hardy… dont le titre de Michel Jonasz et Gabriel Yared « J’écoute de la musique saoule » qui comportait un solo du chanteur noir américain Arthur Simms que j’ai dû relever d’oreille là encore car personne n’avait mis sur partition son impro extraordinaire dans le style « funky ». C’était loin de « La Bonne du Curé » (rires) ! J’ai aussi fait Donna Summer « Love me… baby » et « Lady Marmelade ». Chez les garçons qui faisaient des covers il y avait aussi des presque vedettes dont Georges Blanès et un qui allait composer le « tube » du siècle un peu plus tard, Jacques Revaux avec « Comme d’habitude » (« My way » par la grâce de Paul Anka). Il a abandonné alors très vite les « covers » et est aussi devenu producteur de Michel Sardou, quel destin !

 Anne Germain: Bang Bang (années 60)


DLODS : N’avez-vous pas eu l’opportunité à un moment ou à un autre de suivre une carrière de soliste ?

Oui, ça aurait pu se faire mais je n’ai pas donné suite. Jacques Bedos, l’oncle de Guy voulait m’engager chez Decca. Je chantais alors dans l’orchestre d’Armand Migiani, de grandes vocalises de jazz à la mode dans le style de la musique du film La Parisienne que chantait Christiane Legrand, mais j’étais trop prise par ma famille. Il faut beaucoup de disponibilité, et puis c’est aussi la fin de l’indépendance car on appartient à une maison de disques. J’étais partie dans une autre direction et finalement bien m’en a pris car j’ai pu vivre plus librement tout en gagnant bien ma vie et en n’étant pas loin de la maison.

Anne Germain chante avec l'orchestre Armand Migiani (1964)


DLODS : Vous a-t-on quand même proposé des chansons ?

Il y a bien longtemps un soir avec mon frère et des amis nous sommes retournés au Milord l’arsouille en « clients » et nous avons découvert un nouvel auteur-interprète hors du commun : Serge Gainsbourg. Cela m’a causé une telle émotion que j’ai demandé à Francis Claude si je pouvais aller lui dire un mot –je ne sais pas comment j’ai trouvé le culot, moi qui suis si coincée d‘ habitude, mais c’était un besoin irrésistible- ! Il était assez impressionnant –sur scène déjà- avec son fameux regard oriental un peu hautain, mais il m’a écouté gentiment lui dire mon admiration. Je lui ai dit que j’étais chanteuse aussi (d’orchestre à l’époque), il a compris qu’il ne s’agissait pas d’une « groupie » à la noix. A cette époque j’aurais été tentée de chanter toute seule un répertoire à moi. Je lui ai avoué que j’aimerais chanter ses chansons, il m’a répondu « Mais c’est des chansons de mec, ça ! » puis il m’a donné sa carte –il habitait la Cité des arts à cette époque- et m’a dit « venez me voir, je vais essayer de trouver quelque chose pour vous » eh bien je n’ai jamais osé y aller ! Ce n’était pas mon destin de faire un tour de chant. Comme je vous l’ai dit c’est tellement une autre vie même si c’est grisant je n’aurais sans doute pas tenu le coup : trop de pression, de stress alors qu’en accompagnant tout le monde je ne me suis jamais ennuyée et j’ai gardé une vie à peu près « normale » avec mes filles et malgré une activité très souvent intense.

DLODS : Comment définissez-vous votre voix ? Chez les Swingle Singers vous étiez considérée comme alto, alors que dans Peau d’âne ou Les Aristochats par exemple vous aviez de très beaux aigus ?

Quand je suis arrivée dans les séances on ne m’a pas mise dans les premières voix réservées aux grandes aigues comme Christiane Legrand, Danielle Licari ou Janine de Waleyne. J’étais deuxième ou troisième voix, ce qui m’a un peu étouffé la voix d’être souvent dans un registre proche de la voix parlée. La voix est un muscle qu’il faut entraîner comme les abdos, le souffle, etc. Ninon disait en parlant du lyrique « Le chant c’est de l’athlétisme ! ». C’est vrai, même pour la variété : à moins d’une grande résistance naturelle, on ne dure pas longtemps quand on ne s’entraîne pas, la voix perd sa tonicité et l’aigu alors c’est pire. J’en ai fait un peu des premières voix mais pas assez pour consolider. En plus il y avait les « grandes » premières voix dont je viens de parler, qui étaient tellement sûres ! Je pense que sans Christiane, Ward Swingle n’aurait pas formé les Swingle Singers, c’était une vraie soprano léger, une soliste extraordinaire.

DLODS : J’aimerais qu’on évoque maintenant une expérience qui je crois vous a laissé un grand souvenir : chanter à la Comédie-Française.


N. Darde et A. Germain dans
"Le Bourgeois Gentilhomme"
En 1972, pour célébrer « l’année Molière », la Comédie-Française avait engagé Jean-Louis Barrault, ancien sociétaire, pour monter une nouvelle mise en scène du Bourgeois gentilhomme. Jean-Louis Barrault a voulu une totale fantaisie avec, sauf au début de la pièce, un arrangement très pop de la musique de Lully pour lequel il a demandé Michel Colombier, très en vogue, afin de donner un maximum de vie et de fantaisie à cette pièce, surtout pour l’énorme « canular » de la fin organisé pour ridiculiser ce bourgeois sot et affreusement nouveau riche. La première partie est donc chantée « classique » et à la fin c’est le grand délire, assez « popisant ». Il fallait donc chanter dans les deux styles requis. Il y avait là une distribution éblouissante : Jacques Charon, Robert Hirsch, Georges Descrières, Michel Duchaussoy, Geneviève Casile et des jeunes presque débutants dont Francis Huster, Francis Perrin et aussi Isabelle Adjani avec qui nous prenions le thé pendant la pause des répétitions. Au cours de ces répétitions nous avons vu arriver un jeune et beau pianiste –pour tenir « l’épinette »- venu faire quelques cachets, car inconnu, arrivé en France depuis peu. Il n’est pas resté –ce n’était pas son style sans doute !- et c’était… Gabriel Yared ! Des répétitions du Français aux Oscars à Hollywood, quelle carrière ! J’ai eu l’occasion de travailler avec lui plus tard…

Le théâtre étant en grands travaux de rénovation, nous avons joué sous un grand chapiteau, comme au cirque, installé Place de la Concorde à l’entrée des Tuileries. Les loges c’étaient de petits boxes avec une grande toile pendue en guise de porte, tout le monde était logé à la même enseigne un peu comme au temps de Molière peut-être ? Quel clin d’œil ! Une fois les travaux terminés la troupe a pu réintégrer sa Maison, mais nous n’avons pas retrouvé cette ambiance exceptionnelle…

DLODS : Pourriez-vous évoquer un autre de vos grands souvenirs ? La réalisation des maquettes de la comédie musicale La Fugue (1978) du grand pianiste Alexis Weissenberg…

Alexis Weissenberg avait composé une comédie musicale, La Fugue, pour laquelle il souhaitait que Nicole Croisille chante les maquettes, elle ne pouvait pas et elle lui a indiqué mon nom. Lorsque j’ai vu la musique et réalisé qu’il y avait deux airs beaucoup trop aigus pour moi, je lui ai conseillé Géraldine Gogly qui avait fait Le Bourgeois Gentilhomme avec moi, la tournée au Japon avec Paul Mauriat et qui se trouvait sans travail. Pour le garçon, je lui ai envoyé Michel Barouille, un autre très bon chanteur. Ces deux camarades avaient des voix très travaillées mais chantaient aussi très bien la variété. Michel, Géraldine et moi avons enregistré les maquettes avec les auteurs Francis Lacombrade –un ancien jeune comédien du film Les amitiés particulières- et Bernard Broca, et Jeanne Colletin qui ont fait les « chœurs » avec nous dans certains titres : en cabine, le directeur artistique de Deutsche Grammophon (et d’Herbert Von Karajan), impressionnant quand même pour de petits chanteurs de variété, qui s’était dérangé pour juste une « maquette ». Ce fut un très beau travail et un souvenir rare.

INEDIT:Anne Germain (acc. au piano par Alexis Weissenberg): Mon destin (1978)
Maquette pour la comédie musicale La Fugue


DLODS : A ce propos, quel est le principe d’une « maquette » dont on entend pas mal parler dans le métier ?

Il faut réaliser une démonstration de ce que sera la réalisation finale avec beaucoup moins de moyens évidemment, de façon à ce que les « investisseurs » aient une « vision » la plus précise possible du projet, c’est pourquoi nous avons enregistré avec juste un piano comme accompagnement mais quel piano puisque c’était Alexis Weissenberg lui-même –le compositeur, donc- qui jouait. Etre accompagné ainsi ne pouvait jamais se reproduire, un vrai cadeau du ciel. Nous avons enregistré dans les grands studios Pathé près du pont de Sèvres. Très malheureusement ce spectacle n’a pas eu le succès espéré. Il y avait beaucoup d’idées, de poésie et de fantaisie, avec des interprètes, acteurs, chanteurs, danseurs, de grand talent, mise en scène de Jean-Claude Brialy, chorégraphie de Matt Mattox (célèbre danseur de Broadway). Dans les premiers rôles mon copain Jean Salamero que j’allais retrouver quelques années plus tard dans l’émission Thé dansant de Jacques Martin, et aussi une jeune débutante inconnue qui ne l’est pas resté très longtemps : Arielle Dombasle.


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Anne Germain : « Chanter la vie, chanter les fleurs, chanter les rires et les pleurs » (Partie 4/6)

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Dans l’ombre des studios : J’aimerais qu’on aborde maintenant les différents groupes vocaux dont vous avez fait partie…

The Swingle Singers en studio
Les groupes vocaux d’alors étaient constitués des mêmes chanteurs interchangeables. Mon premier groupe important après le « baptême » chez Franck Pourcel ce furent  les Riff avec Hubert Rostaing chez Philips, puis il y a eu les Angels de Christian Chevallier chez Pathé où je remplaçais quelques fois des « titulaires », puis les Barclay, un groupe beaucoup plus fourni –douze hommes et douze femmes- ce qui causait de la difficulté à ne prendre que des choristes de « variétés ». Il y eut donc quelques camarades venus des chœurs classiques  de la radio qui ont d’ailleurs participé aussi à des doublages comme André Meurant ou Michel Richez, de charmants camarades. Jean Cussac et Jeanette Baucomont tout comme Janine de Waleyne et Danielle Licari venaient du classique mais ils s’étaient parfaitement adaptés au style variété. Dans les Barclay il y a eu aussi des chanteuses de cabaret comme Francesca Solleville ou Claire Leclerc. Et parfois pour « faire le nombre » ont été convoqués des instrumentistes venant « faire chanteur » pour l’occasion comme le jeune Jean-Claude Casadesus à peine sorti du conservatoire de percussions, le violoniste Roger Berthier ou Jean-Claude Dubois harpiste à la Garde Républicaine, futur patron des studios de la Grande Armée.

Il faut dire aussi que dans ces séances de variété venaient aussi pour jouer des instrumentistes de haut niveau comme Jean-Luc Ponty, Didier Lockwood, Emmanuel Krivine futur chef de l’Opéra de Lyon, Michel Portal, Patrice Fontanarosa et aussi la merveilleuse harpiste Lily Laskine si gracieuse avec nous et si simple : lorsque nous étions assises à côté d’elle dans certaines séances et que nous lui disions « Madame », elle nous reprenait « Ah non ! Pas de Madame, nous faisons le même métier … » -pas tout à fait au même niveau quand même !- «… c’est "Lily" et c’est tout ! ». Quel exemple ! Il y en a beaucoup qui auraient pu prendre modèle !

Les Barclay: Qu'il fait bon vivre (1960)
Claude et Anne Germain au centre, dos à dos. 
Partie gauche: Christiane Legrand et Jacques Denjean, Margaret Helian et Franck Thore, Claudine Meunier et Michel Richez, Jean-Claude Dubois et Jeanette Baucomont, Rita Castel et ?
Partie droite: Danielle Licari et ?, Francesca Solleville et André Meurant, Bob Quibel et ?, ? et Michèle Bertin-Conti?, Nicole Binant et ?, Jean Cussac et Geneviève Roblot ?


DLODS : Un autre groupe important pour vous : les Swingle Singers.

Répétition pour le 2ème album des Swingle
Oui ça a été important ne serait-ce que par la beauté du répertoire, le succès mondial –les disques se vendent toujours dans le monde entier- mais dans un groupe on reste quand même anonyme, à preuve des changements plusieurs fois d’éléments hommes et femmes qui n’ont pas empêché le groupe de continuer.

Il y a eu évidemment pour ce groupe français l’extraordinaire engagement pour aller chanter à la Maison-Blanche au cours d’un concert donné afin de marquer la fin du deuil du Président Kennedy. Ce fut vraiment un événement mémorable à raconter aux petits enfants ! A la suite, concerts à Washington et à New York pour la campagne du Parti Démocrate –nous avons fait de la politique malgré nous !-, télés à Hollywood dans la foulée, à notre disposition voitures officielles avec chauffeur, etc. Des stars, quoi ! Je disais à mes partenaires « Attention, le retour en France… » ! Il est vrai que dans les studios personne ne nous a tressés de couronnes et que nous avons repris notre travail de simples choristes comme avant.

DLODS : Je crois qu’en arrivant à Washington vous avez eu une surprise en entrant dans la chambre d’hôtel…

Oui, on était installé dans un grand hôtel où étaient logés tous les ambassadeurs et les personnalités de la politique qui devaient venir à la Maison Blanche. On entre dans la chambre, je pose mes valises, et j’ai l’idée de mettre tout de suite la radio américaine en me disant « Voyons ce qu’on écoute aux Etats-Unis », j’allume le poste…et c’est ma voix que j’entends ! Juré ! J’appelle Claude et son frère José qui étaient dans une chambre voisine « Venez ! Venez ! ». Ils passaient un enregistrement que j’avais fait en soliste pour le chef d’orchestre Armand Migiani. Le disque était sorti chez Decca aux Etats-Unis sous le nom de The fabulous voice of Anne Germaine (rires). Il y a deux cent cinquante chaînes de radio, j’ouvre la radio et je m’entends moi ! C’est fou ! Je me disais « C’est de bonne augure ».


The Swingle Singers : Sinfonia (Partita No. 2 BMV 826) (1966)
1er plan: Christiane Legrand
2ème plan: Jeanette Baucomont, Anne Germain, Alice Herald 
3ème plan: Jean Cussac, José et Claude Germain, Ward Swingle 


DLODS : Cinquante ans avant les Daft Punk, les Swingle Singers, groupe français, a été récompensé par quatre Grammy Awards (en 1963, 1964, 1965 et 1969) et trois autres nominations aux Grammy!

Les Swingle Singers à New-York
Oui, d’ailleurs, on en a gardé un à la maison, que Ward nous avait donné. Les Double Six avaient également eu un prix, ils avaient été nommés meilleur groupe vocal de jazz du monde. Mais mon mari et moi nous n’avons jamais eu la grosse tête, l’essentiel pour nous était d’être devant un micro avec la partition, de bien chanter ce qui était écrit et que le résultat soit satisfaisant. Ca c’était important. On  a bien sûr été très surpris quand il y a eu cet appel pour chanter à la Maison-Blanche, c’était inattendu, exceptionnel. Je ne suis pas sûre qu’Yves Montand ou Charles Aznavour y aient chanté. Il y a eu aussi un beau concert au Carnegie Hall en partageant l’affiche avec Oscar Peterson Trio ! Nous sommes les seuls choristes de France à avoir fait ce parcours prestigieux, enfin, pour des petits musiciens de studio.

DLODS : Dans les photos de concerts des Swingle vous êtes toutes et tous habillés avec une grande classe…

A l’époque Ward Swingle avait accompagné Jeanne Moreau au piano et c’est grâce à elle et à son intervention auprès de son ami Pierre Cardin que celui-ci a accepté de nous habiller pour un prix cadeau !

DLODS : Parlons maintenant d’un autre groupe vocal : Les Parisiennes…

Oui, j’ai enregistré quelques titres dont le fameux « Borsalino » avec Michelle Dornay, Annick Rippe et Catherine Garret pour faire un petit soutien aux Parisiennes avant qu’elles n’enregistrent elles-mêmes car c’étaient avant tout des danseuses. Claude Bolling avec qui nous avons souvent travaillé notamment pour Brigitte Bardot faisait leurs arrangements et nous avait demandé pour ce petit coup de pouce. Danielle Licari en a fait aussi avec d’autres filles. Après, c’était le travail de l’ingénieur du son de tout mixer mais en gardant leurs timbres en premier plan.

J’ai également fait des séances de soutien pour les Surfs (produits par les Salvador) pour qu’ils enregistrent après avec plus de sûreté et de confiance, et les garçons dont mon mari ont apporté aussi du soutien pour les Poppys, un groupe de très jeunes garçons chez Barclay.

DLODS : Pouvez-vous me parler d’un groupe vocal qui vous tient particulièrement à cœur, à savoir Les Masques ?

Yves Chamberland, le créateur des studios Davout, avait été très marqué par les Double Six dont il avait été l’un des premiers ingénieurs du son et il avait envie de produire un groupe vocal à son idée. Il produisait alors un ensemble brésilien, le Trio Camara, et a eu l’envie de constituer un groupe vocal avec des chansons d’inspiration brésilienne avec ce trio en accompagnement. Francis Lemarque a été intéressé par le projet et a coproduit le disque avec Yves Chamberland tandis que mon mari écrivait la plupart des morceaux et arrangements, et Alice Herald les paroles. Yves Chamberland a voulu un autre son que les Double Six et il a demandé Nicole Croisille qui n’était pas encore vedette et deux autres filles, Annie Vassiliu et France Laurie, inconnues elles.


INEDIT (avant sortie CD en 2003): Les Masques: Samba Sao
Pour écouter la reprise de Paul Mauriat, cliquez ici  
Pour écouter un titre des Masques plus "chanté", cliquez ici

DLODS : Pourquoi le nom des « Masques » ?

C’est en référence au Carnaval de Rio, et aussi parce que ceux qui commençaient une carrière de soliste (Nicole Croisille et José Bartel) ne voulaient pas faire de scène. Il n’y a pas eu de photos non plus sur les pochettes de disque. Cela a aussi permis comme pour les autres groupes vocaux de changer les éléments quand les premiers ne purent plus continuer les enregistrements. Parmi les titres composés par mon mari, il y en avait un intitulé « Samba sao » ce qui ne veut rien dire mais collait bien comme une sorte d’onomatopée sur une phrase de la musique, chantée mais sans autre paroles. Ce titre a été entendu par Paul Mauriat dont les disques avaient beaucoup de succès aux Etats-Unis et surtout au Japon et Paul a voulu ce morceau en exclusivité pour le nouveau disque qu’il était en train de réaliser, mais cette fois sans intervention vocale et avec un nouveau titre « Silver fingertips » car il y avait une très brillante partie de clavecin jouée d’ailleurs dans les deux versions par l’ami Maurice Vander. La première version « Samba sao » qui n’apparaît donc plus dans le disque des Masques à cause de l’exclusivité  accordée à Paul Mauriat s’est retrouvée mystérieusement figurer il y a une dizaine d’années dans une compilation de musiques brésiliennes où les Masques sont rebaptisés « Mascara ». Futé, non ?. Où et comment les « créateurs » de ce disque ont-ils eu la bande originale ? Je ne sais pas et n’ai aucun moyen d’éclaircir ce mystère. Yves Chamberland peut-être, en tant que producteur ? A suivre…

DLODS : Vous avez également fait partie des Jumping Jacques…

Jacques Hendrix, ancien des Angels, avait eu envie lui aussi de monter un groupe ne chantant que des onomatopées. C’était très original, produit chez Barclay, mais cela n’a pas marché. Il paraît que cela a servi comme indicatif à la radio ou la télé. Dommage pour le travail et l’idée…

Les Stardust: A la Saint-Médard (1981)
Avec Jo Noves et Anne Germain (solistes), Jean Salamero, Jean Stout et José Germain 

 

DLODS : Vous avez été aussi la soliste du groupe Les Stardust qui accompagnait en 80-81 les artistes programmés par Jacques Martin  dans la première année de son « thé dansant »…

C’est Jean Stout qui m’a convoquée. Lui-même avait été contacté par Bob Quibel car Jean-Claude Briodin ne voulait pas le faire à cause des Troubadours auquel il appartenait. Il y a donc eu outre Jean, José Germain et Jo Noves, ex-Swingle, et mon mari Claude qui écrivait aussi les arrangements pour le groupe. Lorsque Claude est parti c’est Jean Salamero qui l’a remplacé. C’était harmonisé comme les quintets vocaux américains de ces années 50-58, ce qu’avait voulu faire Jacques Martin puisque ce thé dansant était censé se dérouler en 1953 ! De la variété d’avant la vague rock’n’roll. Mais je constate à l’écoute de certaines radios qu’il y a toujours des amateurs pour cette variété-là, de même qu’il y a toujours des amoureux du « musette » heureusement pour la musique fut-elle la plus modeste, car pour moi rock, rap, techno et compagnie c’est plus du bruit qu’autre chose ! Réac Anne Germain ? Ah oui et sans complexe !


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(Plan: Partie 1: enfance, formation, chanteuse d'orchestre; Partie 2: choeurs pour des chanteurs de variété; Partie 3: enregistrements solistes; Partie 4: groupes vocaux; Partie 5: musiques de films; Partie 6: doublage, compositions)
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Anne Germain : « Chanter la vie, chanter les fleurs, chanter les rires et les pleurs » (Partie 5/6)

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Dans l’ombre des studios : Je souhaiterais maintenant que nous évoquions les différentes musiques de films auxquelles vous avez participé, à commencer par Les Demoiselles de Rochefort (1967)

Vous me parliez de maquettes : j’avais été demandée pour enregistrer celles des Demoiselles. Comme je vous l’ai déjà expliqué pour La Fugue il fallait présenter quelques airs pour ces messieurs les producteurs. Ca s’est fait à la Comédie des Champs Elysées transformé en studio d’enregistrement dans la journée (les Double Six y ont enregistré leur premier 33 tours avec Quincy Jones), une petite loge d’orchestre au fond servait de cabine aux ingénieurs du son (salut à Gilbert qui prenait si bien les voix et à Jean-Pierre !). Le soir la salle redevenait théâtre. Michel Legrand avait réuni un simple orchestre de cuivres et une rythmique, pas de cordes. J’ai chanté une des chansons de Solange « Je rentrais de l’école et je traînais Boubou » (elle chantonne) reprise dans le film par Claude Parent. L’autre chanson, celle de Delphine a été interprétée pour la maquette par Nicole Darde qui n’a pas chanté dans le film car ensuite le projet ayant été retenu par Hollywood (Gene Kelly, etc.) nous avons passé des auditions avec les autres choristes de l’époque. J’ai auditionné avec la « Chanson de Delphine à Lancien » : « Mais que sais-tu de moi, toi qui parles si bien, etc. » (elle chantonne) que j’ai déchiffrée en même temps derrière Michel au piano en lisant par dessus son épaule ! Il y avait là Francis Lemarque qui avait investi aussi dans le projet, Agnès Varda et bien sûr Jacques Demy. J’ai donc été retenue aussitôt pour faire la « voix chantée » de Catherine Deneuve. Par contre je n’avais pas été contactée pour les auditions des Parapluies de Cherbourg (1964).

DLODS : C’est Danielle Licari qui doublait Catherine Deneuve dans Les Parapluies. Pourquoi ont-ils ressenti le besoin de changer de voix pour Les Demoiselles?

L’extrême originalité des Parapluies de Cherbourg qui a tant étonné le monde de la critique et le monde tout court c’est qu’il était entièrement chanté : pas une parole de comédien, que du chant (d’ailleurs  je trouve que les chanteurs n’ont pas eu la reconnaissance qu’ils méritaient, car ce sont eux qui font le film. Ils auraient dû être invités au festival de Cannes !), alors que dans Les Demoiselles il y a beaucoup de texte et on entend donc les voix des comédiens. Il fallait donc que les timbres des voix parlées et chantées raccordent parfaitement, c’est pourquoi Danielle Licari n’a pas fait Les Demoiselles de Rochefort ni Peau d’âne.

DLODS : D’où venait Claude Parent, la voix chantée de Françoise Dorléac dans Les Demoiselles de Rochefort?

C’est Mme Legrand la maman de Michel qui connaissait tout le monde dans le métier par sa maison d’édition et qui a pensé à Claude Parent. Elle avait un tour de chant alors et a dû faire un essai après nous. Elle a été prise aussitôt car sa voix « collait » parfaitement à celle parlée de Françoise Dorléac.


Anne Germain (voix chantée de Catherine Deneuve): Chanson de Delphine
du film Les Demoiselles de Rochefort (1967) 
 

DLODS : Dans Les Demoiselles de Rochefort comme dans les autres films de Jacques Demy, les chansons ont été enregistrées avant le tournage du film. Les comédiens du film ont-ils assisté à l’enregistrement ?

Oui, les deux sœurs sont venues se rendre compte du travail dans la cabine du son, mais il n’y a pas eu de contact personnel avec elles. La pauvre Françoise s’est tuée tragiquement l’année suivante. Quant à Catherine Deneuve, elle est toujours restée très discrète sur le fait de n’avoir pas chanté elle-même dans les films de Demy.

DLODS : Vous avez quand même participé à une émission quelques temps après la sortie du film…

Oui, nous avions été sollicitées Claude Parent et moi pour une émission de télévision dans laquelle nous devions chanter en direct devant un écran la chanson des jumelles. Il y avait là Serge Gainsbourg et d’autres artistes. Un de mes « collègues » batteurs André Arpino éprouve le besoin de me présenter à Serge Gainsbourg qu’il avait accompagné (naturellement je ne mentionne pas notre rencontre à Milord l’arsouille quelques années avant sa célébrité, la carte de la Cité des Arts, etc. s’en est-il souvenu ?), mon copain lui dit « Je te présente Anne Germain, qui a prêté sa voix à Catherine Deneuve dans Les Demoiselles de Rochefort ». Gainsbourg me regarde et dit « Il ne faut rien prêter dans ce métier » (rires) !

DLODS : Que pensez-vous du film au moment de sa sortie ?

Je n’ai pas été éblouie à l’époque, j’étais encore dans la magie des grandes comédies musicales américaines comme Chantons sous la pluie, The Bandwagon, Royal Wedding et tant d’autres splendeurs avec les Marge et Gower Champion, Vera Hellen, Fred Astaire, enfin les génies du spectacle chanté et dansé. Ce n’était pas au niveau bien que très vivant. En fait c’est français, aussi beaucoup comme mes camarades et moi ont été surpris du succès que rencontre ce film avec le temps, car en effet des générations de jeunes l’ont découvert et l’ont trouvé formidable, la chanson des jumelles est devenu un « classique » ! Mais nous forcément n’avions pas le même regard ayant « travaillé » pour ce film. Peau d’âne (1970), c’est différent, il n’y a aucune référence hollywoodienne. Un conte de fées infiniment poétique –la scène de l’enterrement de la Reine au début dans son cercueil de verre en forme de bulle porté à travers un champ enneigé, c’est d’une beauté !-, d’autres passages un peu surréalistes au-delà du conte, parfois un peu inspirés par Cocteau peut-être ? Comme Parking d’ailleurs…


Anne Germain (voix chantée de Catherine Deneuve): Recette pour un cake d'amour
du film Peau d'âne (1970) 


DLODS : Aviez-vous passé une nouvelle audition pour Peau d’âne?

Non, j’ai été demandée directement : toujours la même obligation des voix qui raccordent. Musicalement par contre, c’était plus chanté, plus « lyrique » sauf la « Recette pour un cake d’amour » qui a un petit style Burt Bacharach/Herb Alpert –aïe si Michel lit ça, gare (rires)! Jacques Revaux a repris naturellement la voix chantée de Jacques Perrin.

DLODS : L’univers de Michel Legrand est-il particulièrement difficile à s’approprier ?

Pas pour moi, je ressens sa musique comme si je la connaissais depuis toujours, c’est tellement évident ce qu’il écrit, c’est une vraie musique de Musicien. Dans ses séances il faut chanter juste et « en place » quand c’est jazzy comme les séances que nous avions faites pour Stan Getz. Michel a toujours été charmant et amical avec moi, il était content, donc…

DLODS : Francis Huster chantait lui-même dans Parking (1985) de Jacques Demy, et ce n’était pas très «heureux » …

Je n’ai jamais compris comment la partie chantée de son rôle lui avait été confiée finalement, alors qu’un vrai chanteur avait déjà fait un enregistrement très concluant car une belle voix et un vrai interprète : Daniel Levi. Il a chanté plus tard dans Les Dix Commandements avec beaucoup de succès. Cela s’est déjà produit que des vedettes fassent du chantage et exigent de chanter ou sinon elles ne font pas le film, mais… motus !

DLODS : Pour Michel Legrand vous avez chanté dans Les Mariés de l’An II (1971) de Jean-Paul Rappeneau…

Ah oui, Michel avait dit à Paulette qui convoquait les musiciens « Je ne veux personne d’autre qu’Anne Germain » (rires) ! Je chantais  « Gloire à la République, mort à tous les fanatiques, etc. » (elle chante) à la place de la belle Laura Antonelli ! Pour Michel j’ai fait un soir au studio Davout une très belle maquette –encore !- pour le film de Claude Lelouch Les uns et les autres (1981). C’est Nicole Croisille qui devait chanter et jouer la scène dans le film mais elle n’était pas là et Claude Lelouch avait absolument besoin de la musique pour tourner le lendemain. J’ai donc enregistré à sa place en attendant son retour pour le définitif. C’était magnifique, un orchestre somptueux comme toujours avec Michel. Hélas j’ai oublié de demander à l’ingénieur du son de me faire une petite bande en souvenir et quand j’y ai pensé c’était trop tard : Nicole avait enregistré la séquence et comme il n’y avait qu’une piste chant la mienne avait été effacée. Désolant et grave de ne pas penser plus loin que l’immédiat. Pour Cannabis (1970) de Serge Gainsbourg, même oubli. Pour ce film qu’il avait réalisé et dont il avait composé la musique avec l’aide de Jean-Claude Vannier pour les arrangements, il y avait une scène dans un cabaret de travestis où l’un d’eux mimant Marylin Monroe chantait une chanson en anglais évidemment mais composée par Serge. Il lui fallait donc une fille chantant bien en anglais, ne pouvant utiliser un vrai disque de Marylin. Deux prises, tout le monde satisfait, mais là encore j’ai oublié de demander une bande pour moi ! Il reste ce qui est dans le film, mais la scène étant brutalement interrompue dans l’histoire, la chanson est donc brutalement coupée aussi, je n’ai donc jamais pu l’avoir en entier. Où est-elle aujourd’hui  cette bande ? Jane Birkin le sait peut-être car c’est elle qui avait écrit le texte…

DLODS : J’imagine que vous aviez dû faire des chœurs pour Gainsbourg ?

Je n’ai fait des chœurs pour Serge Gainsbourg qu’une fois : pour sa comédie musicale Anna, avec Anna Karina d’ailleurs : « Sous le soleil exactement », etc.

DLODS : Nous allons maintenant parler d’une autre « figure » de ce métier qui vous avait engagée comme soliste pour son premier film Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil (1972) : Jean Yanne… Comment l’avez-vous connu?

Ce n’est pas Jean Yanne qui m’avait engagée mais mon mari ! Claude avait déjà travaillé en collaboration avec Michel Magne qui avait besoin de bons arrangeurs et orchestrateurs pour ses musiques car Michel était surtout un mélodiste avec beaucoup d’idées mais il ne savait pas écrire pour tout un orchestre. Dans le projet de film de Jean il devait y avoir beaucoup de musique de variété principalement avec solistes et chœurs pour les chansons qu’on entend à longueur de journée dans une station de radio genre RTL. J’ai donc fait toutes les chansons en « imitation », comme je l’avais déjà fait dans des covers. Jean Yanne je l’avais déjà croisé quand avec Christiane Legrand, Claude et d’autres copains nous faisions des pubs pour Les Programmes de France avec le cher Gérard Sire dans un petit studio rue Croix des petits Champs dans un immeuble en face de la Banque de France. Eh bien, malgré le temps, Jean Yanne s’est souvenu de moi à mon grand étonnement.



Montage d'extraits de la B.O. de Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil  
Anne Germain imite Sylvie Vartan ("Jesus, rends-moi Johnny"), Mireille Mathieu ("Jésus Java"), Gloria Lasso ("Che o Che") et France Gall ("Chanson bête et stupide")


DLODS : Dans ce film on entend votre voix à de nombreuses reprises, c’est un véritable « festival Anne Germain », vous vous imprégnez de tous les styles…

J’ai repris des évocations de Sylvie Vartan, France Gall, Gloria Lasso, Zizi Jeanmaire, etc. C’était sympa à faire, dans une ambiance super car tout ça plaisait beaucoup à Jean Yanne. Claude avait glissé un petit passage « brésilien » de son cru à la façon « Les Masques » qui sonnait super bien, trop court mais dans lequel on reconnaît dans deux petites répliques les voix de Michel Cassez et Danielle Licari. Cette chanson c’est « Symphonie pour odeur et lumière » : « A cinq heures du soir, dans son bureau, la dactylo sent mauvais sous les bras ».

DLODS : Il y a également deux chansons interprétées par un certain N’Dongo Lumba. Je ne trouve aucune trace de cet artiste, était-ce un pseudonyme ?

Klaus Blasquiz
Oui, naturellement il fallait créer l’illusion, c’est le propre du cinéma, vous savez. Il avait super bien chanté. Nous pensions qu’il serait un rival sérieux pour le grand Johnny mais il faisait en fait partie du groupe Magma et n’a pas été intéressé par une carrière de soliste, il était sûrement très bien avec son groupe. Il chantait la chanson « Jesus San Francisco » dans le film. C’était l’époque où le monde du spectacle a exploité Jésus (Jesus-Christ Superstar, le film de Norman Jewison) et Jean Yanne n’a pas manqué d’ « épingler » cette « mode » ! Ce chanteur c’était Klaus Blasquiz que nous avons « retrouvé » des années après mon mari et moi pour une expertise d’instruments synthétiques pour lesquels il avait créé une sorte de musée.

DLODS : Votre mari a poursuivi sa collaboration avec Jean Yanne sur d’autres films…

En effet, Claude a été sollicité pour les films suivants avec ou sans Michel Magne. Jean Yanne avait lui-même des idées de musique et il a souhaité confier directement à Claude les arrangements et musiques additionnelles des petites « maquettes » qu’il s’était enregistré lui-même. Certes, le matériel était mince ! Sauf pour Deux heures moins le quart avant Jesus-Christ (1982) où il a demandé Raymond Alessandrini un grand virtuose du piano qui n’a pas eu la carrière à la hauteur de son talent. Trop modeste lui aussi, pas tout à fait Philippe Sarde !

Anne Germain : Pauvre Bach
du film Chobizenesse (1975) 

DLODS : Pour Chobizenesse (1975) de Jean Yanne, vous chantez en soliste "Pauvre Bach", une parodie des Swingle Singers… et on peut également vous voir à l'image dans une scène du film!

C’était vraiment de la figuration dans une scène tournée au Théâtre de la Madeleine. Un film assez délirant comme Jean Yanne aimait bien, avec toujours avec lui de très grands acteurs, comme à cette occasion Robert Hirsch et la grande Denise Gence, tous deux de la Comédie-Française quand même ! Les acteurs aimaient bien travailler avec Jean Yanne car c’était toujours une partie de rigolade avec malgré tout le savoir-faire et le talent !

DLODS : Dans un tout autre genre, puisque nous évoquons les musiques de films que vous avez chantées, nous ne pouvons pas oublier le générique de l’émission L’île aux enfants (1974)!

J’avais été convoquée par Roger Pouly le pianiste de Charles Trénet pour soutenir une chorale d’enfants qui devait chanter ce générique, ce que j’ai fait. J’ai donc chanté avec eux mais ensuite Christophe Izard, l’auteur, m’a demandé de chanter la partie soliste (le couplet) car le petit garçon prévu n’y arrivait pas. J’ai donc eu l’idée de chanter une octave en-dessous pour ne pas faire une fausse voix d’enfant, car les fausses voix d’enfants ça s’entend, ce n’est pas crédible, alors j’ai chanté plutôt à la façon d’une « maman » avec un timbre naturel, ce qui je pense a contribué au succès de ce générique. Cela a beaucoup plu à Christophe Izard qui m’a ensuite redemandée pour l’émission Les visiteurs du mercredi.

Anne Germain: Générique de L'île aux enfants (1975)


DLODS : Vous avez continué à travailler avec Roger Pouly et Christophe Izard ?

Christophe Izard avait repris Sesame Street, réalisé en noir et blanc avec les premières « muppets » bien avant le Muppet Show qui sera diffusé plus tard avec les voix des « stars » du doublage. Les épisodes que nous avons doublés étaient très courts mais il y en avait un très grand nombre. Nous faisions souvent le doublage sans bande rythmo car cela arrivait tellement vite des Etats-Unis qu’il n’y avait pas eu le temps de les préparer, on avait juste les textes sur un papier et on doublait à l’image ! Heureusement ce n’étaient que des poupées avec des mouvements de « bouche » imprécis et saccadés donc moins délicat que pour des visages humains. Ca aussi c’était hilarant. Fatiguant, mais si drôle à faire ! Encore un souvenir qui sort de l’ordinaire dans mon travail de « choriste ».

DLODS : Qui faisait avec vous les voix des Sesame Street ?

Il y avait donc Roger Pouly engagé pour la circonstance, son épouse et deux copains à eux dont je ne sais plus les noms et que je n’ai jamais revus. Plus tard je retrouverai d’autres « muppets » en doublant Les Fraggle Rock avec Vincent Grass, Michel Mella, Claude Lombard et Jocelyne Lacaille.

"Ballet du rêve" par Anne Germain (voix chantée de Noëlle Adam)
dans L'homme orchestre (1970)



DLODS : Avez-vous en tête des souvenirs de chœurs dans des films français connus ?

Anne Germain dans
Le Gendarme et les Extra-Terrestres
Pas français mais tout de même cas rare, un James Bond, Moonraker (1979) bénéficiant d’une grève des musiciens en Angleterre. Autrement LeGendarme de Saint-Tropez (1964) avec le célèbre « Douliou douliou Saint-Tropez » et Le Gendarme et les Extra-terrestres (1979) dans lequel nous sommes à l’image dans la scène du couvent, en bonnes sœurs. Dans Astérix et Cléopâtre (1968), nous chantons Danielle Licari, Nicole Darde et moi les servantes de Cléopâtre dans la scène du bain. Il y a eu aussi un beau duo avec Danielle Licari pour Alain Delon dans son film Madly (1970), Tendre poulet(1978) avec Annie Girardot et Philippe Noiret où l’on nous voit –une vraie chorale, cette fois !- dans quelques scènes. J’avais fait une chanson dans un épisode de la série télé Arsène Lupinavec Georges Descrières pour une musique de Claude Bolling. Tant d’autres aussi pour Vladimir Cosma dont Les Malheurs d’Alfred (1972) et la série télévisée Le Loup blanc (1977), mais aussi pour Georges Delerue, François de Roubaix que j'aimais énormément et dont la disparition tragique m'a beaucoup choquée, etc. Il faudrait que je ressorte toutes mes feuilles de paie pour tout citer car il y en a trop !


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Anne Germain : « Chanter la vie, chanter les fleurs, chanter les rires et les pleurs » (Partie 6/6)

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Dans l’ombre des studios : De la musique de film au doublage il n’y a qu’un pas… Quand et comment avez-vous débuté dans le doublage ?

J’avais vingt-deux ans et travaillais alors comme chanteuse d’orchestre à la Villa d’Este avec l’orchestre de danse de Ben, un copain de longue date qui avait naturellement pris Claude au piano. Un jour à la fin du « thé », un monsieur est venu me dire que j’étais exactement la voix recherchée pour doubler deux chansons de Rita Hayworth dans un film avec Frank Sinatra et Kim Novak, Pal Joey (1957). En français, ce film s’intitule La Blonde ou la Rousse, on ne fait pas plus tarte ! C’est ainsi que j’ai fait connaissance avec les frères Tzipine qui s’occupaient alors de nombreux doublages de films musicaux. Moi j’étais dans mon petit coin, j’attendais et n’en menais pas large. Comme je ne connaissais personne c’était quand même impressionnant. Par chance, je connaissais déjà une des chansons, « Bewitched » (« Maudite » en V.F.), et l’autre, « Zip » ne m’a pas posé problème. On m’a expliqué le système de la bande rythmo. En fait la bande orchestrale dans le casque me suffisait car la musique était très carrée, bien rythmée. Ca s’est bien passé. Les producteurs américains de Paramount ont je crois été tellement satisfaits qu’ils ont adressé une lettre de félicitations aux Tzipine, hyper fiers, qui ont d’ailleurs eu la gentillesse de me le faire savoir. Un bon présage pour la suite de ma carrière... Du coup j’ai été demandée par la MGM pour le film Les Girls (1957) avec Christiane Legrand et Lucie Dolène sous la direction de Guy Luypaerts. Il y a eu aussi à la suite un doublage de Shirley Temple qui avait bien grandi mais je ne me souviens pas du titre. Il y avait des choristes derrière moi, un peu impressionnant car je ne connaissais alors personne dans ce milieu très fermé. 

Anne Germain (voix chantée de Rita Hayworth/Vera): Maudite
du film La Blonde ou la Rousse (1957)


DLODS : Dans Mary Poppins (1964), le générique présente quelques curiosités : les noms des choristes et de voix secondaires sont écrits en plus gros que certains noms de comédiens-chanteurs qui ont un rôle important dans le film. Du coup, certains s’obstinent à penser que vous êtes la voix de Mme Banks, la mère des deux enfants…

Non, je n’ai pas doublé la mère. En écoutant sa voix dans le disque que vous m’avez passé j’ai reconnu la voix de la comédienne qui doublait Shirley MacLaine dans un film passé il y a quelques temps sur Arte (Nicole Riche, ndlr). J’avais passé les essais pour doubler Julie Andrews, et j’ai fait les chœurs. Je me souviens d’une séquence dans une ferme, on faisait les voix des oies et des brebis avec plusieurs camarades choristes comme Jeanette Baucomont et Michelle Dornay. Donc je ne sais pas pourquoi ils ont mis nos noms en gros. Des amis me disent que d’après internet mon mari doublait Dick Van Dyke dans Mary Poppins, mais non, c’était Michel Roux ! Il ne faut pas se fier à ce qu’on lit dans la presse.

Par contre dans Les Aristochats (1970), c’est le problème inverse. J’avais doublé dans les chansons Duchesse, ma fille Isabelle la petite Marie et le fils de mes amis Georges et Christiane Cour (respectivement ancien chef des Djinns et ancienne choriste et membre des Djinns, ndlr), Nicolas Cour, avait doublé Berlioz. Quand le film est sorti au cinéma, il y avait nos noms. Toute la famille Germain ! José (« Scat Cat »), Anne, Isabelle, et il ne manquait que Claude qui n’était pas là. Et nos noms ne sont plus au générique dans les VHS et DVD.

Isabelle Germain (Marie), Nicolas Cour (Berlioz) et Anne Germain (Duchesse): 
Des gammes et des arpèges
du film Les Aristochats (1970)



DLODS : Ils sont également absents de la pochette du disque…

Quand vous n’indiquez pas le nom d’un interprète c’est un vol, une atteinte à la propriété intellectuelle. En plus, professionnellement, il y a des gens qui prennent les génériques pour argent comptant. Aujourd’hui le dernier technicien a son nom au générique, ce qui permet de dire quand il a un entretien pour un engagement après pour un autre film « J’ai fait ceci ou cela ». Il faut rétablir une exactitude dans ce domaine.  Mais on ne peut que faire un procès, alors… « Pot de terre contre pot de fer ».

DLODS : Vos filles Isabelle et Victoria ont donc fait des chœurs et du doublage chanté...

Victoria (1er plan) et Isabelle (derrière) à la télévision en 1968
Mes filles étaient alors toutes jeunettes, elles avaient de jolies voix et chantaient bien juste alors des arrangeurs me les ont demandées, en studio d’abord et aussi pour des télés. Elles ont fait les voix des enfants pour « Les jolies Colonies de Vacances » et « La Cage aux oiseaux » pour Pierre Perret, « Le sirop typhon » pour Richard Anthony, « Adieu monsieur le professeur » avec Hugues Aufray et aussi « Papa je t’aime » avec Georges Guetary. Il y a eu des émissions de télé avec Hugues Aufray et Georges Guetary. Pour cette dernière, Isabelle était seule avec un groupe d’enfants tous en pyjama ! Puis Isabelle a fait la voix chantée de la petite Marie dans Les Aristochats, nous avons fait le petit duo « Des gammes et des arpèges », et un autre duo avec son oncle José Germain « Tout le monde veut devenir un cat ». Elle a fait aussi des pubs avec moi plus tard, Badoit entre autres, et aussi les chansons pour la revue du cabaret La Nouvelle Eve dont mon mari avait composé la musique. Ensuite les Tzipine ont demandé Victoria pour doubler le rôle d’Alice dans Alice au pays des merveilles (redoublage de 1974). J’étais moi-même dans les chœurs avec Danielle Licari, Françoise Walle et d’autres qui étaient admiratives de ce que Victoria faisait. Si le métier n’avait pas tant changé elles auraient fait des choristes top toutes les deux.

DLODS : Elles devaient quand même être fières de leur maman et de leur propre travail…

Elles ne se sont jamais vanté de ce qu’elles avaient fait, ça leur paraissait naturel puisqu’en somme elles faisaient comme leurs parents. Sauf qu’évidemment ce n’est pas un métier courant. Lorsque par hasard des camarades à l’école ou ailleurs parlaient de « nos » films, elles disaient juste : « C’est maman qui chante pour Catherine Deneuve » ou « C’est moi qui chante Les Aristochats » ou « Alice » ! Stupeur des copines, et souvent incrédulité… Ce métier étonne toujours et encore plus ceux qui le pratiquent dans l’ombre !

DLODS : Puisqu’on parle de votre famille, votre mari a-t-il fait du doublage comme soliste ?

En soliste non. En trio, avec son frère et Vincent Munro ils ont chanté le célèbre générique de Zorro pour la télé. A part ça, il a fait principalement des chœurs, et quelques répliques de temps en temps, notamment dans Blanche-Neige et les Sept nains (redoublage de 1962). Par contre il a fait la chanson de Kaa le serpent pour le livre-disque Adès du Livre de la Jungle, moi je faisais Mowgli et le petit éléphant. J’ai fait pas mal d’autres livres-disques Adès avec Jean Baïtzouroff alias « Popoff », Christiane Legrand, Jean Cussac, Henry Tallourd et mon mari. D’abord des petites chansons enfantines comme « Cadet Rouselle », puis des Disney : Madame Mim dans le disque de Merlin l’Enchanteur, le lapin blanc dans celui d’Alice au pays des merveilles, etc.

Anne Germain : Suzy le petit coupé bleu
du livre-disque Disneyland Suzy, la petite voiture bleue


DLODS : J’aimerais que vous me parliez des frères Tzipine directeurs musicaux de doublages de la Libération à la fin des années 70, de leur manière de travailler…

Georges Tzipine
Les Tzipine étaient très exigeants : Georges pour la musique, Joseph pour la synchro. Il fallait que ce soit impeccable pour les producteurs. Ils avaient des comptes à rendre ! Georges était assez « grand maître » et Joseph plus chaleureux. Nous répétions juste un peu avant d’enregistrer avec le pianiste Billy Colson pour s’assurer qu’il n’y avait pas de faute sur la partition. Evidemment il ne fallait pas perdre de temps car les heures de studios coûtent cher, et donc pas trop droit à l’erreur. Mais il y avait toujours de de très bonnes équipes en chant et lecture.


Anne Germain (Samantha Eggar/Emma): Si j'étais un homme / Un matin
du film L'Extravagant Docteur Dolittle (1967) 


DLODS : En 1967 vous doublez les chansons de L’Extravagant Docteur Dolittle

Pour « doubler » la jeune première, Samantha Eggar, j’ai été retenue après audition avec d’autres choristes. Eddie Marnay qui avait adapté les paroles des chansons dirigeait la partie musicale. Raymond Gérôme doublait Rex Harrison comme dans My fair Lady et d’autres films. Il a chanté lui-même. José Bartel doublait en chant le personnage que doublait Dominique Paturel. Ce fut un beau travail pour une grande réalisation. La musique était superbe, l’orchestre était somptueux, c’était un bonheur de chanter là-dessus ! Malheureusement, le public n’a pas « accroché » et aujourd’hui la télévision diffuse plutôt la version avec Eddie Murphy.

Danielle Licari (Michèle Marsh/Hodel), Anne Germain (Neva Small/Chava) 
et ? (Rosalind Harris/Tzeitel) : Un homme à marier
du film Un violon sur le toit (1971) 


DLODS : Vous avez doublé la jeune Chava dans Un violon sur le toit(1971)…

Avec Danielle Licari nous avons fait le duo des sœurs, moi je faisais la plus jeune. Danielle avait encore un beau solo dans ce film, mais nous avions déjà fait un beau duo toutes les deux, en vocalises, pour Alain Delon dans son film Madly. Pour Un violon sous le toit nous avions assisté à tous les essais et avions admiré Micheline Dax, éblouissante dans le rôle de Fruma Sarah, la veuve du boucher, et finalement quelqu’un d’autre l’a fait. Peut-être une histoire de cachet…

DLODS : Avez-vous d’autres souvenirs de doublages des années 60-70 ?

J’avais doublé une chanson dans un film intitulé Krakatoa à l’est de Java (1969), ça se passait sur un bateau, il y avait l’éruption d’un volcan. Ce n’était pas pour les Tzipine, c’était pour un autre studio de doublage. J’ai fait aussi des Heidimais je ne me souviens plus si c’était une série ou de l’animation. Et puis j’ai participé aux chœurs de nombreux doublages : My fair lady (1964), Olivier !(1968), L’apprentie sorcière (1971), Robin des Bois (1973), Le shérif est en prison (1974) avec José Bartel, Les Aventures de Bernard et Bianca (1977, voix de Bianca dans « S.O.S. Société »), etc.

DLODS : Le doublage d’Oliver ! (1968) est assez curieux. Shany Wallis (Nancy, la prostituée) est doublée par Nicole Croisille sauf que dans certains mots ou phrases chantées elle semble avoir été remplacée par une autre chanteuse…

En effet je me souviens que Nicole avait des problèmes de voix au moment de ce doublage. Au lieu de la faire remplacer intégralement sur les chansons qui posaient problème ils ont préféré la remplacer uniquement sur quelques passages.

Anne Germain (Shelley Duvall/Olive) et les choeurs : Il est large
du film Popeye (1980)
Dans ce montage du blog "Film Introuvable" qui replace les répliques de la V.O qui ont été coupées en V.F. on peut constater le mimétisme vocal entre Anne Germain et Shelley Duvall


DLODS : Dans le film Popeye (1980) de Robert Altman, vous doublez les chansons de Shelley Duvall (Olive). C’est extraordinaire à quel point votre voix raccorde avec celle de la voix parlée (Monique Thierry) !

Là encore j’avais « truqué » ma voix pour rendre la sonorité très « spéciale » d’Olive. J’avais passé aussi les auditions pour la comédie et j’avais eu le soutien des techniciens du son ! Mais le directeur artistique a préféré une comédienne qu’il connaissait déjà.

DLODS : Je pense que Monique Thierry doublait déjà Olive dans le dessin animé à l’époque.

C’est possible, du coup je n’ai fait que le chant. Danielle Licari qui était dans les chœurs était épouvantée de m’entendre truquer ma voix comme je le faisais pour faire le « son » d’Olive. « Tu vas t’abimer ta voix ! Il ne faut pas faire ça» mais je ne pouvais pas faire autrement pour être vraiment le personnage.

DLODS : Vous avez eu l’occasion de vous « rattraper » en doublant dans Annie (1982) l’actrice Ann Reinking (Grace Ferrell) à la fois pour les dialogues et les chansons !

Pour ce doublage aussi il y a eu des auditions. Il y avait une séquence où la voix parlée et la voix chantée de la jolie secrétaire du banquier s’enchaînaient presque dans le même mot. Ce n’était pas possible de faire une coupure entre le « parlé » et le « chanté », il fallait donc faire les deux : chant et comédie. Après les auditions, Jacqueline Porel m’a sauté au coup car elle était inquiète de ne pas trouver l’oiseau rare ! Nous avons eu une très bonne relation. Elle a été charmante. On m’avait dit qu’elle était assez dure avec les femmes, mais elle a semblé m’adopter et m’a même emmenée déjeuner avec son fils Marc. Elle avait voulu le prendre comme assistant sur ce doublage pour essayer de le sortir de son état, déjà très atteint par la drogue. Quel gâchis, un si beau garçon, et quelle souffrance pour cette maman !

Anne Germain (Ann Reinking/Grace), Amélie Morin (Aileen Quinn/Annie) 
et Sady Rebbot (Albert Finney/M. Warbucks) : Allons voir un beau film
du film Annie (1982)


DLODS : N’avez-vous pas tenté après cette première expérience réussie de continuer une carrière de comédienne dans le doublage ?

J’ai eu les compliments enthousiastes de Roger Rudel, un grand comédien du doublage, qui m’a donné sa carte –comme Gainsbourg !- pour que je le rappelle, eh bien, là encore je n’ai pas osé me lancer. C’est vrai, j’aurais sans doute pu prolonger mon activité artistique par cette voie en découvrant un autre milieu que les chœurs dans lesquels arrivaient beaucoup de nouvelles têtes, et il commençait à y avoir moins de séances.

DLODS : Justement, pouvez-vous me parler de la fin du métier de choriste ?

Studio Barclay
La fin du métier –tel que je l’ai connu les dix premières années- a commencé lorsqu’on n’a plus enregistré tous ensemble, orchestre et chœurs. Il y avait alors une sorte de sélection naturelle : seuls pouvaient accéder à ce travail les musiciens et chanteurs pouvant mettre quatre titres en « boîte » dans les trois heures d’une séance : lecture, essais pour le son, enregistrement. Ensuite, avec les nouvelles techniques, nous avons enregistré à part les uns des autres. On a commencé à « doubler » ou « tripler » nos voix, ce qui donnait davantage de volume et corrigeait les imperfections ici ou là. Du coup, on pouvait prendre quatre choristes pour faire huit ou douze voix au final. Faites le compte de ceux qui restent à la maison ou vont pointer aux Assedic ! Autre horreur : remplacer les instruments par des synthés. Les synthés sont des inventions diaboliques ! Très intéressants pour créer des sons particuliers et donner une atmosphère particulière, des effets sonores, un climat spécial, mais carrément remplacer les vrais instruments c’est minable car le son est mécanique et sans vie. Forcément une belle économie pour le producteur. Petit à petit, ainsi, beaucoup d’orchestres vivants ont disparu et les musiciens avec.

DLODS : Aujourd’hui, touchez-vous des droits par exemple sur les musiques de films de Michel Legrand ?

Je vois que cette question éveille particulièrement votre curiosité ! En fait, il n’y a eu des droits sur la vente des disques des Parapluies ou des Demoisellespour personne. J’ai réussi à obtenir quelque chose pour Peau d’âne sur les disques, mais pas sur le DVD. C’est une histoire un peu compliquée et ce serait fastidieux et peu discret d’en décrire toutes les étapes. Comme tous les artistes aujourd’hui, je ne perçois que les droits recueillis par les sociétés de répartition Adami ou Spedidam suite à la loi Lang de 1985 concernant les « droits voisins » du droit d’auteur. Donc c’est récent. Cependant il paraît qu’aujourd’hui des producteurs « contournent » cette loi en faisant signer aux musiciens des abandons de droits à l’entrée du studio. Ceci m’a été indiqué par des collègues encore en exercice. Ceux qui ne sont pas d’accord ne sont plus rappelés. Il y a aussi de nombreux enregistrements, surtout dans la musique de films, qui se font dans les pays de l’est, vous le verrez si vous observez les génériques de fin de films. J’ai eu la chance de faire ce métier à une époque de rêve…

DLODS : Et pour L’île aux enfants ?

Quand Christophe Izard m’a prévenue que ce que j’avais enregistré pour la télé allait être exploité sur disque, je suis intervenue car une exploitation secondaire ne peut se faire sans l’accord de l’interprète. Là encore, longues et pénibles « palabres » qui m’ont valu des représailles –aïe aïe aïe- mais j’ai réussi à obtenir des droits satisfaisants pendant des années. Le titre ayant été utilisé récemment pour le film de Maïwenn Polisse (2011) j’ai reçu aussi quelque chose dessus. J’ai bien fait de me battre. Hélas trop d’artistes « s’allongent » par peur de ne pas travailler. Il y a tant de concurrence !



 Charlatan Transfer: Fume plus
Paroles et musique Claude et Anne Germain


DLODS : Plus tard dans votre carrière, vous avez écrit avec votre mari des chansons qui sont toujours chantées dans des chorales de nos jours…

Christiane Legrand faisait travailler beaucoup d’ensembles vocaux dans diverses écoles et elle avait besoin de matériel écrit « jazzy » façon Double Six en simplifié pour ses « élèves », souvent très bons. D’où quelques groupes qui se sont formés ensuite et ont fait des spectacles et disques comme Amalgam de Gabriel Cabaret –excellent travail- ainsi que Charlatan Transfer  de François Bessac –avec un très beau titre de nous deux, « Une carte postale »- et Cool in hot de Jean-Yves Jomier à Pau. Des groupes soit disant amateurs qui ont super bien chanté avec de très bons accompagnements. C’est donc pour Christiane que Claude s’est lancé dans ce travail. Nous avons fait les paroles ensemble. Un très bon groupe, Les Souingue, deux hommes/deux femmes, ont eu un temps de gloire il y a quelques années et nous ont chanté, aussi, malheureusement ils n’ont pu continuer très longtemps. Il y avait là Fabienne Guyon qui avait chanté dans Une chambre en ville (1982) de Jacques Demy et qui chantait très bien.


 Elèves du Conservatoire du VIIème arrondissement: Le temps d'avant
Paroles et musique Claude et Anne Germain

 
Nous avons fait un album pour voix d’enfants, Promenade au pays d’enfance, pour les éditions A cœur joie. Un autre aussi pour Comufra les éditions de Christiane Legrand, Le temps d’avant : une chanson assez dramatique sur un rythme gai par contraste, sur la disparition des espèces… Nous l’avons écrite bien avant tout ce qui est dénoncé sur ce sujet aujourd’hui. Il n’y a hélas qu’une « maquette » interprétée par les élèves du Conservatoire du 7èmearrondissement où Christiane donnait des cours. Michel Leeb qui avait entendu cet enregistrement l’adorait ainsi que ses filles. 

 Maîtrise du Conservatoire du Rueil-Malmaison: Voici venir Noël (live)
Paroles et musique Claude et Anne Germain

 
Et puis un « Noël » enregistré dans une église de Rueil-Malmaison par la maîtrise du Conservatoire de cette ville. J’aimerais bien qu’un jour elle soit sur un disque « en vrai », parce que « Petit papa Noël » ça commence à être usé ! Avis aux petits chanteurs de toutes les chorales ou des églises… J’ai le petit CD à vous faire écouter !

(NDLR : Chefs de chœurs, vous pouvez contacter danslombredesstudios@gmail.com pour plus de renseignements)

DLODS : Quel regard portez-vous sur la chanson d’aujourd’hui ?

Ce serait plutôt l’écoute. Franchement j’en suis restée à Voulzy et Souchon bien que j’aime aussi beaucoup Nolwenn, une des rares qui ne copie pas les Américains, elle fera une plus longue carrière que beaucoup. Dans l’ensemble, ce qui est diffusé aujourd’hui me paraît musicalement plus que pauvre. Il n’y a pratiquement plus de mélodies, tout est basé sur une rythmique répétitive, du coup tout se ressemble. Je préfère ne pas insister sur ce qui constitue le programme des « Victoires de la Musique », qui devrait s’appeler « Les Victoire de la Non-musique ». Si vous comparez ça à la richesse de la variété d’avant… Entre les chansons « rive gauche » de Jean Ferrat, la fantaisie de Pierre Perret, Hugues Aufray, Michel Fugain, ça s’était de la vraie chanson écrite avec respect pour la musique et la langue française. Ce qu’on « matraque » aujourd’hui est appauvrissant pour les « oreilles » des jeunes, et même souvent abrutissant. Il n’y a pas beaucoup de soleil dans cette sous-musique là. Réécoutez vite Charles Trénet « Y a d’la joie » par exemple, vous retrouverez la « pêche » comme on dit. Je tiens à signaler parmi ce temps d’indigence deux très belles, vraies chansons d’Yves Duteil qui ne cède pas à la mode et garde sa personnalité : « Le mur de la prison d’en face » et « La mer ressemble à ton amour ». Merci monsieur et « bravo » !

DLODS : Anne Germain, je vous remercie pour ce passionnant entretien. Je suis, depuis que nous nous connaissons, toujours impressionné par votre extraordinaire mémoire.

C’est que j’ai vécu ce métier et plus généralement mon « chemin de vie » avec passion. Rien ou presque ne m’a laissé insensible ou indifférente, tout ou presque s’est imprimé dans ma mémoire sans que je me force. C’est pourquoi j’ai une énorme réserve de souvenirs –et encore je ne vous ai pas tout raconté !- un long film avec son et images encore bien nets. Ah oui… « Souvenirs ! Souvenirs ! »(rires).

En conclusion : « élève douée, mais on espère qu’elle fera mieux la prochaine fois ».


BONUS:

 Message d'Anne Germain aux lecteurs de "Dans l'ombre des studios"


 Joe Dassin : Indian summer (1976)
avec Nadine Doukhan, Hélène Devos, Nicole Darde et Anne Germain


Jacques Revaux (Le Prince) et Anne Germain (Peau d'âne): 
Séance de travail pour la chanson "Amour, amour"
du film Peau d'âne (1970)




Anne Germain chante "Chanson en langue inconnue" (musique: Paul Misraki) pour le film Le Dernier Homme (1971) de Charles L. Bitsch
(attribué à tort à Danielle Licari sur la pochette du disque)


(Plan: Partie 1: enfance, formation, chanteuse d'orchestre; Partie 2: choeurs pour des chanteurs de variété; Partie 3: enregistrements solistes; Partie 4: groupes vocaux; Partie 5: musiques de films; Partie 6: doublage, compositions)
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Communiqué commun : Festival Les Anciens Doublages Disney

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COMMUNIQUÉ COMMUN:

Voici maintenant plusieurs années que nos quatre sites, La Gazette du Doublage, Dans l’ombre des studios, Film Perdu et Les Grands Classiques s’unissent pour retrouver des informations et des éléments sonores concernant les premiers doublages Disney tombés dans un injuste oubli. En raison des vagues de redoublages successifs, certains sont perdus depuis cinquante ans et seuls subsistent quelques extraits. Les recherches sont si complexes que la collaboration de nos quatre sites est primordiale dans ce dossier, chacun apportant les compétences qui lui sont propres (archives sonores, archives papier, identification de voix, restauration, lien avec les interprètes de l’époque, etc.).

La découverte, la restauration et l’analyse de la VF originale de Blanche Neige et les sept nains fut l’année dernière l’un des points culminants de cette collaboration.

Nous avons le plaisir de vous annoncer que nous avons retrouvé de nouveaux extraits de premiers doublages Disney, certains très courts (4 mn de plus que ce qui avait déjà été retrouvé pour La Belle au Bois Dormant) et d’autre très longs (la quasi-totalité de la 1ère VF de Bambi a pu être reconstituée), et que nous vous proposerons pour chacun de ces films une analyse voxographique et des extraits dans ce qu’on pourrait appeler un mini « Festival des anciens doublages Disney ».


Lundi 2 juin : Pinocchiosur Film Perdu

Mardi 3 juin : Bambisur Les Grands Classiques

Mercredi 4 juin : Alice au Pays des Merveilles sur La Gazette du Doublage

Jeudi 5 juin : La Belle au Bois Dormant sur Dans l’ombre des studios.


Les extraits resteront en ligne pour une durée très courte, donc soyez réactifs !

Bande-annonce de l'événement:


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La Belle au Bois dormant (1959) : ses deux doublages

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Dans le cadre du festival «Les anciens doublages Disney » organisé avec « Film Perdu », « La Gazette du Doublage » et « Les Grands Classiques », j’ai le plaisir de vous présenter des extraits inédits ainsi qu’une analyse de l’adaptation et des voix du premier doublage du chef d’œuvre de Walt Disney La Belle au Bois Dormant (1959). Exceptionnellement, j’ai proposé à mon ami Gilles Hané de co-écrire avec moi cet article, d'où l’emploi de la première personne du pluriel. Nos remerciements à Colette Adam, Huguette Boulangeot, Roger Carel, Jean Cussac, Serge Elhaïk, Anne Germain, Jacques Pessis, Greg Philip et Guy Severyns pour leur contribution à cet article.

Bien qu’ayant connu un succès public et critique très mitigé à sa sortie, La Belle au Bois Dormant est considéré par les puristes comme un film phare dans l’œuvre de Walt Disney, car l’ambition artistique de ce projet ne sera jamais égalée par les studios Disney dans les trois décennies suivantes. La stylisation des personnages, la beauté des décors et la musique de Tchaïkovski, donneront aux spectateurs le souvenir d’un film d’une grande force esthétique.

La Belle au Bois dormant a connu deux doublages français, le premier pour sa sortie en 1959 et sa reprise en 1971, le second pour une nouvelle sortie cinéma en 1981. Dès lors, le premier doublage est passé aux oubliettes, et les ressorties de 1987 et 1995 ainsi que les K7 vidéo, CD de la B.O.F, Laserdisc, DVD, et autres Blu-Ray ont repris la nouvelle adaptation. De cet enregistrement, seuls subsisteront dans le commerce  pendant des années les chansons du film : « C’était Vous » - uniquement la partie chantée par la princesse se terminant par ses vocalises (utilisée dans certaines compilations en CD), et « Le Monde », « Gloire à la Princesse Aurore », « A toi La beauté », ainsi que le premier couplet de la chanson des Rois : « Trinque ». Ces airs figurent dans l’enregistrement réalisé en 1959, gravé sur le disque 25 cm proposé par le label  « Le Petit Ménestrel, »  en collaboration avec les studios Disney, et raconté superbement par Michèle Morgan entourée de comédiens talentueux. Cet enregistrement de l’histoire et des chansons du film, contrairement à de nombreux autres titres de la collection ne fut jamais réenregistré et fit l’objet d’une longue exploitation, 30 cm, CD avec diverses couvertures, ce qui en dit long sur sa qualité artistique. Certains airs sont repris dans le disque 17cm raconté par Caroline Cler, et dans des compilations de chansons publiées chez le même éditeur. C’est d’ailleurs l’une des rares fois où ces chansons sont reprises de la bande sonore du film sans être réenregistrées ou réadaptées, pratique alors courante dans la collection le Petit Ménestrel.

Au catalogue de Film Office en super 8mm, un premier montage sonore des scènes finales du dessin animé, « Le Prince et le Dragon »,  fut également longtemps disponible. Bizarrement, et de manière plus brève, dans un montage deux fois plus long de chansons populaires de films de Disney paru après 1981, intitulé « Disney Mélodies », on pouvait encore entendre « C’était vous » jusqu’à l’intervention du Prince. Ces articles, très onéreux à l’époque, étaient réservés à une élite sociale équipée de projecteurs sonores, ou de passionnés, et furent donc distribués dans un circuit plus restreint que les vinyles suscités. Un autre montage sonore en super 8mm, de 60 m, disponible à partir des années 80 : « Valse de la Forêt » reprenait le réenregistrement de 1981, contrairement à ce que l’on peut trouver affirmé sur certains sites.

Il y a quelques années, deux passionnés ont diffusé plusieurs extraits inédits du premier doublage : la forêt (Le Monde / C’était vous), la préparation des surprises d’anniversaire, Eglantine guidée par Maléfique, Maléfique et Philippe dans le cachot / Evasion et combat de Philippe. Très récemment, nous avons retrouvé de nouveaux extraits très courts, ce qui a permis à notre ami Greg Philip (Film perdu) de réaliser un montage avec le talent qui est le sien. Nos apports sont minimes, mais plairont certainement aux fans de La Belle au Bois Dormantet de son premier doublage. Quels sont-ils ?

-Courts extraits de la scène du baptême d’Aurore
-Scène « Eglantine guidée par Maléfique » commencée quelques secondes plus tôt par une discussion entre les fées
-Courte réplique de Flora (« Partons ») au chevet d’Aurore (omise dans la version de 1981)
- Intégration de la chanson « Trinque » et de plusieurs chœurs qui avaient été en partie utilisés pour le disque de l’histoire du film racontée par Michèle Morgan.
-Intégration de l’image des  génériques d’époques de début et de fin, disponibles dans le Laserdisc du second doublage (ce qui explique pourquoi nous avons laissé le chœur en V.O.). Notons que le générique de début contient la distribution du premier doublage, la mention « d’après le conte ravissant de Charles Perrault » et que le générique de fin est différent de celui de la V.O : après un fondu au noir qui l’écourte, avant l’extinction de la bougie, le mot « fin » est indiqué dans un carton à part, alors que dans la V.O « The end » est en surimpression du livre fermé, après l’extinction.

Ces nouveaux éléments nous donnent l’opportunité de rectifier la fiche "voxographique" donnée sur le forum de « La Gazette du Doublage » par un voxophile en 2003, recopiée avec ses erreurs sur de nombreux sites, et même retrouvée sur le passionnant et magnifique ouvrage que Pierre Lambert a consacré à La Belle au Bois Dormant. Ils nous permettent également de faire une analyse comparative de l’adaptation et des voix des deux doublages :


L’ADAPTATION DES DIALOGUES

Pierre-François Caillé
L’adaptation des dialogues est signée par Pierre-François Caillé (1907-1979), traducteur de référence. On lui doit notamment la traduction du livre Autant en emporte le vent et la fondation de la Société Française des Traducteurs (1948). Il adapte le doublage de plus de cent cinquante films, parmi lesquels Autant en emporte le vent (1945) pour sa sortie en France en 1950, Vera Cruz(1954), Les 101 Dalmatiens (1961), Quoi de neuf, Pussycat ? (1965) ou Pendez-les haut et court (1968). Un prix de traduction porte son nom. 
Son adaptation est plus précise, riche et fidèle que celle réalisée en 1981 par Natacha Nahon (ce qui n’enlève rien aux mérites de cette dernière, d’autant que le problème des « redoublages » chez les adaptateurs est épineux puisqu'ils sont tenus par la Sacem de faire une adaptation différente de celle du premier doublage pour ne pas être accusés de plagiat).
Natacha Nahon a adapté plusieurs Disney dans les années 70/80 : Les aventures de Bernard et Bianca (1977), Le Petit Âne de Bethlehem (1978)et s’est également chargée à cette même époque de la réadaptation de Dumbo(1980).

Précise…

- Pierre-François Caillé utilise le terme exact de baquet et non de seau pour animer les ustensiles de ménage dans la chaumière,

- Le futur épousé est accusé par Pimprenelle d’être « décati » (old en anglais). C’est une exagération comique, car le Prince Philippe n’a peut être que cinq ans de plus que la princesse Aurore et n’est pas vraiment défraichi ! En 1981 il est simplement qualifié d’« horrible », la référence à l’âge disparaît … avec l’humour. Certes, peu d’enfants connaissent le premier adjectif, mais désormais ils ont perdu l’occasion de le découvrir.

Riche…

- Le sortilège final de Maléfique sur le château de Stéphane est, par Pierre-François Caillé « Qu’une forêt de ronces devienne son tombeau, dans un nuage de mort qu’elle croisse inextricable, assouvis ma vengeance, je la veux implacable, que la malédiction règne autour du château ». Plus sépulcral et vindicatif que « Qu’une forêt de ronces soit désormais son tombeau, qu’un orage se déchaine et qu'il gronde la haut, vas, cours et porte par-delà l’horizon, au château et alentours cette malédiction ».

Fidèle…

- Eglantine est la traduction de Briar Rose, le pseudonyme exact utilisé par les Fées d’après le narrateur de la V.O., et non Rose comme dans la version de 1981. Mais les marraines utilisent le diminutif de Rose en anglais à plusieurs reprises à l’égard de leur filleule. On imagine donc que Natacha Nahon a choisi « Rose » pour des questions de synchronisme.

- C’est bien « Avant le coucher du soleil, à son seizième anniversaire » et non « avant l’aube de ses seize ans » que la princesse doit se piquer et se piquera le doigt… Ce qui maintient le suspens après la découverte de la véritable identité d’Eglantine par le corbeau, et oblige Maléfique à agir très vite pour que sa prédiction se réalise. Un traveling abandonne d’ailleurs les trois Fées penchées sur le corps inanimé d’Aurore, pour cadrer un soleil se couchant encore, dans l’embrasure de la fenêtre du donjon, soulignant l’accomplissement de la funeste prophétie de la sorcière. Ce soleil, enfin couché, quelques secondes plus tard est d’ailleurs le signal pour démarrer les festivités associées au retour de la Princesse Aurore, que l’on croit rescapée de la malédiction de Maléfique.

- En anglais, Flora arme le bras de Philipe d’un bouclier de Vertu et d’une épée de Vérité, ces appellations symboliques sont conservées par Pierre François Caillé, Natacha Nahon ne donne au Prince qu’un simple bouclier, mais l’épée de Vérité garde son nom.




Des différences de points de vue entre les deux doublages…

-Maléfique est toujours la Fée du Mal chez Caillé, elle invoque les forces du Mal qu’elle commande après que son sort est accompli, et aussi quand elle se change en dragon pour tenter d’arrêter le Prince qui a osé la défier. La référence à l’Enfer au moment de cette métamorphose dans le deuxième doublage paraît presque inadaptée car connotée religieusement. Le Mal est plus universel, car moral, et plus laïque. Pourtant, si l’on suit à la lettre la Version Originale ("Now shall you deal with me O Prince, and all the powers of hell !"), … c’est quand même Natacha Nahon qui a raison !

-Eglantine, avec Pierre-François Caillé, qualifie le prince de ses rêves de « romanesque » (sorti d’un roman). Il est devenu « romantique » chez Natacha Nahon. Le terme « romantic »  dans la V.O. recouvre les deux notions. Mais il y a une différence. A qui donner raison ? Ca se discute…

Quelques imperfections dans le premier doublage :

-Le vocabulaire d’Eglantine est parfois un peu daté. Elle déclare qu’elle a « roulé » ses marraines, Rose en 1981 se contente de leur « désobéir ».

- Les incantations de Pimprenelle lorsqu’elle fait le ménage, et de Flora concevant la robe, sont normalement en vers en V.O. tout comme les explications de Flora au Prince lors de sa libération du cachot du château de la Montagne Interdite. P. F. Caillé a choisi de ne pas versifier, à la différence de Natacha Nahon qui, elle, ne fait rimer que Flora en ces deux occasions.

Quelques incohérences dans le deuxième doublage :

- Pimprenelle dans la V.O. sauve la Princesse en la plongeant dans le sommeil et non dans la mort. Mais jamais la durée de 100 ans n’est explicitement évoquée dans ce passage de la V.O.

- Lorsque la Princesse s’adresse en parlant à la chouette déguisée en Prince ou au prince lui même, elle les vouvoie. Philippe continue de la vouvoyer dans la partie dialoguée. En revanche lorsqu’ils chantent, ils n’hésitent pas à se tutoyer à tour de rôle. La musique adoucit les mœurs, c’est bien connu !

- Maléfique passe du tutoiement au vouvoiement lorsqu’elle s’adresse à son corbeau. « - Et toi, tu es mon dernier espoir, prends ton vol et va enquêter… » ;  mais alors qu’il vient d’être changé en gargouille par Pimprenelle : « - Et vous, dites à ces folles de… »  hurle Maléfique, comme si elle s’adressait à une foule éloignée d’elle.
Erreur, elle parle à son corbeau !
Les folles, ce sont ses sbires, ses créatures que Pierre-François Caillé lui fait traiter de sottes. Mais chez lui, la méchante Fée tutoie son corbeau et lui parle sans hurler, conformément à la version originale…puisque seuls cinquante centimètres les séparent !


L’ADAPTATION DES CHANSONS

Comme pour La Belle et le Clochard (1955), l’adaptation des chansons en 1959 est signée Henry Lemarchand (parfois orthographié Henri). Cet auteur de chansons qui a adapté il y a déjà des années « Lily Marlene » en français et en écrira encore de nombreuses autres, signera aussi l’adaptation des airs de La Mélodie du Bonheur (1966). Un autre nom est associé à Henry Lemarchand pour cette adaptation de La Belle au Bois Dormant : Michel Lukine. Il n’apparaît pas sur les cartons du générique français de 1959, ni sur les brochures publicitaires, mais est fréquemment cité comme co-adaptateur des chansons tant sur le livre disque Disneyland évoqué précédemment, que sur différentes reprises de « C’était Vous », dont les paroles se rapprochent de la version de 1959, par Mathé Altéry (chez Pathé), mais aussi Marie Myriam (Le Petit Ménestrel), voire même plus tardivement Douchka (Ibach/Polygram) !
En 1981, Natacha Nahon, en plus des dialogues,  adapte également les chansons, elle n’a peut-être pas encore un « pedigree » équivalent. La force de l’expérience joue un peu contre elle sur l’air principal du film : « C’était vous » nous paraît mieux écrit que « J’en ai rêvé », et la prosodie utilisée sur « l’il-lu-si-on »  qui parfois nous ment par Huguette Boulangeot, est parfaite.
Les  offrandes des fées chantées par les chœurs au début du film sont aussi plus allégoriques et donc plus poétiques en 1959, que celles plus descriptives proposées par Natacha Nahon.
Dans cette dernière adaptation, l’adjectif joli (assez pauvre) est un peu galvaudé :
- Jolie Princesse reçoit tous nos vœux (Gloire à la Princesse Aurore)
- Sa voix sera jolie - (Les dons des Fées)
- A celui, que la nuit, je vois dans mes rêves si jolis - (Je voudrais)
- Un aussi doux rêve est un présage joli- (J’en ai rêvé)

Quelques incohérences relevées dans le 2èmedoublage :

- Le terme « belle au bois dormant » signifie « la jeune fille dormant dans le bois » (le bois que la 7ème fée chez Perrault a fait pousser pour protéger son sommeil de 100 ans). Natacha Nahon déforme ce sens dans la chanson « Je voudrais » en faisant dire à Rose « Je suis sa belle au bois dormant ». La belle de l’inconnu parce qu’il hante ses rêves alors qu’elle vit recluse dans la forêt ? Briar Rose, en anglais, attend simplement que quelqu’un vienne à sa rencontre pour lui chanter une chanson d’amour. En V.O., l’expression "Sleeping Beauty" n’est citée que dans la chanson où les fées endorment le château, car la notion de bois ne figure pas dans le titre anglais, et à ce moment-là Aurore est bien endormie ! Natacha Nahon glisse à nouveau donc « la belle au bois dormant » dans cette chanson… bien qu’aucun bois n’entoure pour l’instant le château. Mais « La Belle au Bois Dormant » est presque uneantonomasepour désigner une belle jeune fille endormie… avec ou sans bois !

- La chanson « J’en ai rêvé » est chantée avec des paroles différentes par Rose et les chœurs du début ou de fin de film : ainsi « un aussi doux rêve est un présage joli » (chœur) / « … un présage d’amour » (Rose). Avec « amour » la rime avec « mornes et gris » qui arrive dans les vers suivants se perd. Le remplacement d’un mot par l’autre parait presque une erreur non remarquée lors de l’enregistrement.


LES COMEDIENS

Le directeur artistique du premier doublage ne figure pas au générique. Il s’agissait certainement de Serge Nadaud ou Henri Allegrier-Ebstein. Le deuxième doublageétait quant à lui dirigé par la comédienne Jacqueline Porel, qui à la manière des apparitions « hitchcockiennes » s’attribuait régulièrement quelques répliques dans les doublages qu’elle dirigeait (dans le doublage de 1981 elle double la Reine). Le jeu des comédiens est globalement plus théâtral en 1959, du fait des origines d’une partie de la distribution, de la direction des comédiens à l’époque et aussi peut-être à cause de l’adaptation plus classique. En 1981, le jeu s’est allégé…mais les personnages y ont peut être perdu un peu de caractère, et la tension dramatique s’en ressent.

Dans le premier doublage, Aurore est doublée par une certaine Irène Valois sur laquelle nous n’avons aucune information. Il s’agit certainement d’une jeune comédienne qui  a arrêté sa carrière assez tôt. Elle fait plus enfantine et naïve que Janine Forney (doublage de 1981), dont la voix fragile convient bien aux jeunes adolescentes frondeuses (Pamela Franklin dans Les belles années de Miss Brodie (1969)), ou aux jeunes femmes perturbées (Margot Kidder dans Sœurs de sang (1973)). En 1981, Aurore paraît plus malicieuse, contemporaine mais aussi un peu moins altière que dans la version originale. Mais ni Irène Valois ni Janine Forney n’arrivent à égaler la voix de Mary Costa, plus sophistiquée, dotée d’une diction raffinée et aristocratique. Avec elle, Aurore bien qu’élevée pendant 16 ans au milieu d’une forêt, s’exprime déjà comme une princesse. Quelle distinction innée !

Jeanne Dorival
Pour Maléfique, le ton du doublage de 1959 nous semble plus juste, même si le jeu est un peu théâtral, Maléfique reste toujours maîtresse d’elle-même. Elle est doublée par Jeanne Dorival dont la carrière est assez confidentielle et même mystérieuse : quelques feuilletons radiophoniques comme Signé Furax (dans le rôle de Malvina avec Maurice Biraud, dont elle était proche) et Les Maîtres du Mystère,  peu de télévision ou de cinéma, un peu de théâtre (il est possible qu’elle ait un lien de parenté avec Georges Dorival, sociétaire de la Comédie-Française), on perd complètement sa trace en 1962. Nous avons contacté le journaliste et réalisateur Jacques Pessis, qui nous a indiqué n'avoir lui-même pas réussi à retrouver sa trace (ni celle d'éventuels ayants-droit) au moment de l'édition CD de Signé Furax dont il est le producteur. Tout ce qu'il peut nous dire, c'est que Jeanne Dorival ne faisait pas partie de la "bande" habituelle de Pierre Dac et Francis Blanche... Dans La Belle au Bois dormant, Jeanne Dorival compose son personnage : elle insiste volontairement sur des mots pour donner davantage de reflet à son texte. Apparitions et départs spectaculaires au baptême, ou dans la tour haute du château, transformation finale en dragon : Maléfique est un peu cabotine, et Jeanne Dorival est en parfaite adéquation avec cette sorcière qui s’exprime fréquemment avec ironie et condescendance. Cela concorde avec un univers de conte de fées, qui supporte très bien une certaine emphase.

Maléfique reste affectée en 1981, mais plus en surface, du fait d’un texte un peu moins riche ; mais parfois elle perd son sang-froid et va jusqu’à hurler (notamment dans la scène finale). Sylvie Moreau, dont la voix profite d’une bonne « réverbe » tout au long du film, rajeunit beaucoup Maléfique et la rend presque séduisante, élégante, voire suave (pour mémoire elle a doublé Sigourney Weaver dans Working Girl). Grâce à elle, on se rend enfin compte de la beauté de ses traits sous ses cornes, mais,  elle surjoue un peu, ses rires prolongés par exemple, manquent parfois d’authenticité. Mais indéniablement, Sylvie Moreau apporte une touche personnelle, indélébile à la personnalité de Maléfique. Le seul soucis de continuité vocale ne peut justifier qu’elle ait été à nouveau distribuée dans ce même rôle, des années plus tard, sur le jeux vidéo Kingdom Hearts 2, et en voix-off dans la bande annonce française pour le lancement du film en Blu-Ray.
Jeanne Dorival lui donne, quant à elle, un côté plus autoritaire et sec, elle semble aussi plus âgée, cependant sa voix se rapproche davantage du timbre d’Eleanor Audley. C’est important  car le rire de cette dernière a été laissé à plusieurs reprises dans les 2 VF, et donc Jeanne Dorival  est plus « raccord ».



Jeanne Dorival (Duchesse d'Olivarès) et Danièle Condamin (Princesse d'Eboli)
dans Don Carlos (1957)


Flora sonne un peu plus vieille et plus « rustique » en 1959 dans la bouche d’Henriette Marion, comédienne habituée aux personnages à fort tempérament. Chez Disney, on la retrouve les années suivantes dans Les 101 Dalmatiens (Nanny, la gouvernante), Merlin l’enchanteur(Aglaé, la cuisinière d’Hector) ou bien encore Mary Poppins (la femme aux oiseaux). En 1981, le personnage sera doublé par l’excellente Paule Emanuèle, habituée des doublages de Jean-Pierre Dorat et Jacqueline Porel (La Reine de Cœur dans Alice au Pays des Merveilles(doublage de 1974), Shelley Winters/Lena Logan dans Peter et Elliott le dragon (1977), Big Mama dans Rox et Rouky (1981), Tante Sarah dans La Belle et le Clochard (doublage de 1989), etc.). Toutes les deux sont proches de la V.O (Verna Felton) tout en apportant des nuances différentes. Henriette Marion est plus dramatique et grave (par exemple dans de la scène de libération du Prince, où elle instaure une vraie tension), Paule Emanuèle apporte quant à elle une dimension plus joviale à la rondeur du personnage, particulièrement dans les préparatifs de l’anniversaire de la princesse.


Henriette Marion (Mlle Dochet) et Jean Richard (Maigret)
dans Les Enquêtes du commissaire Maigret : La maison du juge (1969)


Colette Adam en 1932
Voix française occasionnelle de Joan Fontaine, Maureen O’Hara ou bien encore Ida Lupino, la voix de Colette Adam est méconnaissable lorsqu’elle interprète Pâquerette(et non Pimprenelle, comme indiqué sur tous les sites). Si elle ne figurait pas au générique et si elle ne nous avait pas elle-même confirmé sa participation à ce doublage lorsque nous l’avions interviewée il y a une dizaine d’années, il nous en serait permis d’en douter. Issue d’une famille proche de George Sand (qui participera à la grande donation du Musée de la Vie Romantique), Colette Adam a fait ses débuts au Théâtre de l’Odéon au début des années 30. Sa silhouette assez fine lui permet de jouer notamment Chérubin dans Le Mariage de Figaro. Voisine de Camille Guérini dans le quartier des Pyrénées à Paris, qu’elle côtoie à la ville et en studio, elle est restée très amie de Renée Simonot (membre avec elle de « La Costière », l’association des anciens de l’Odéon) avec qui, dans les années 40, elle partage les jeunes premières du cinéma américain ; son amie aux studios Paramount, et elle à ceux de la Fox. « Un jour où je venais au studio avec de magnifiques chaussures en pécari, Nicolas Katkoff (directeur du studio) me dit « Dis donc, ça marche bien la synchro! » » nous confiait-elle avec amusement. La Belle au Bois Dormant est l’un de ses derniers doublages, car en raison d’engagements de moins en moins nombreux, elle arrête le métier vers 1960 au profit d’une sage reconversion dans un poste administratif pour une caisse de retraites. Sa Pâquerette, très contrastée, fait un peu gâteuse et gaffeuse mais dégage aussi un réel potentiel comique et émotionnel. En 1981, Marie-Christine Darah, qui est à la fois la voix française de Whoopi Goldberg, mais aussi celle du jeune renard dans Rox et Rouky(1981), adoucit quelque peu les contours.

Les interprétations de Pimprenelle par Jacqueline Ferrière (et non Colette Adam) en 1959 et Jeanine Freson en 1981 sont sensiblement identiques et conformes à l’originale : Barbara Luddy, qui prêtait sa voix à Lady dans « La Belle et le Clochard ». C’est probablement l’unique incursion de Jacqueline Ferrière dans le dessin animé, plus habituée aux brunes brûlantes hollywoodiennes (Ava Gardner, Jane Russell), mais elle s’y glisse parfaitement ; tout comme Jeanine Freson qui prêta souvent sa voix à Natalie Wood.

Jacques Berlioz
La fiche établie en 2003 donnait pour le Roi Stéphane le nom de Raymond Rognoni et pour le Roi Hubert le nom de Jacques Berlioz, mais l’écoute de ces nouveaux extraits nous prouve que c’est tout le contraire. Jacques Berlioz (voix des grands seconds rôles Ed Begley, Louis Calhern et Lionel Barrymore, et du père de Don Diego/Zorro dans les premières saisons) prête sa voix grave et granuleuse à Stéphane, et Raymond Rognoni (fondateur de l’école des enfants du spectacle, voix de Joyeux dans le doublage de 1962 de Blanche-Neige et les sept nains) apporte sa rondeur bonhomme au Roi Hubert, comme il l’avait fait à Peter Lorre dans Vingt mille lieues sous les mers (1954). Roger Carel remplace Rognoni à l’identique en 1981, en y apportant une note peut-être plus comique. Autre membre de l’ « écurie » Porel, René Bériard prête sa voix à Stéphane dans ce deuxième doublage pour les dialogues. Pour la chanson « Trinquons à ce soir », il semble avoir eu le soutien du chanteur Henry Tallourd.

Grand habitué des studios de doublages des années 40 aux années 70, Maurice Nasil double l’aboyeur de la cour en 1959. Marc François lui succèdera en 1981, en y mettant une touche plus « solennelle ».


LES CHANTEURS

Dans la première version, les chanteurs sont dirigés par le grand chef d’orchestre Georges Tzipine. Chez Disney, il officie depuis la Libération, sera remplacé par André Theurer pendant les années 60 (du redoublage de Blanche Neige et les sept nains en 1962 à Les Aristochats en 1970) avant de reprendre le flambeau en 1971 avec L’apprentie sorcière jusqu’en 1979 où il sera remplacé pour la décennie qui suit par notre ami Jean Cussac (chanteur classique, choriste dans la variété et le doublage, membre des Swingle Singers) qui assurera donc la direction musicale du doublage de la version de 1981.

Nous avons pu grâce à ce dernier (qui n’a pas travaillé pour le premier doublage mais qui est de la génération de ses chanteurs) et à Serge Elhaïk contacter les chanteurs du premier doublage :

Huguette Boulangeot
Veuve du chanteur Michel Hamel, Huguette Boulangeot est une chanteuse lyrique, à qui on doit de nombreux enregistrements d’opérettes (dont certains ont été réédités en CD, ou sont disponibles sur les plateformes de téléchargement : L’auberge du cheval blanc, Les cloches de Corneville), ainsi que des valses pour le disque et la radio. Elle cessera d’enregistrer vers 1973 en raison de problèmes de voix suite à une opération, et enseignera pendant un moment le chant dans un conservatoire du Nord dirigé par son amie Claudine Collart. Elle ne se souvient plus précisément du doublage de La Belle au Bois Dormant, à part qu’elle avait beaucoup apprécié ce doublage et qu’elle n’en a, dans son souvenir, pas fait d’autres. Pour le chant d’Aurore, la voix d’Huguette Boulangeot est plus proche de l’originale, la soprano Mary Costa, qui assurait dans la version originale les dialogues et les chansons. Les vocalises d’Eglantine en forêt, conservées en version originale, s’harmonisent facilement avec sa voix, plus opératique que celle qui lui succède en 1981.
Danielle Licari
Danielle Licari
est une ancienne élève de la Maîtrise de Radio France, qui a notamment prêté sa superbe voix à Catherine Deneuve dans Les Parapluies de Cherbourg (1964), puis a connu un succès international avec le « Concerto pour une voix » qui l’a conduit à mener par la suite une carrière de soliste sous le label Barclay au travers de plusieurs albums dans les années 70. La version de Danielle Licari est plus simple, plus « variété » ;  sa voix très pure s’harmonise aussi avec les vocalises de Mary Costa,  et elle est forcément plus adéquate pour les oreilles des enfants de 1981 et d’aujourd'hui, car plus contemporaine que la précédente. En ce sens, elle s’adapte parfaitement avec le jeu moderne de Janine Forney. Cependant ni Huguette Boulangeot, ni Danielle Licari ne raccordent parfaitement avec leurs voix parlées, mais cela n’a que peu d’importance, grâce à leur talent respectif, la magie opère. D’ailleurs, des chanteuses aussi différentes que Micheline Dax ou Natalie Dessay, qui ont officié elles aussi dans le doublage, ont prouvé que des voix parlées et chantées pouvaient être complètement différentes.

La voix du Prince en 1981 est plus légère et plus jeune que la V.O. et très caressante tant parlée (par Guy Chapelier) que chantée (par Olivier Constantin). Ici les  deux timbres s’accordent parfaitement. En 1959, la voix de Philippe est plus riche en testostérone, se rapprochant ainsi de la voix originale (Bill Shirley). C’est Guy Severyns qui double le Prince. Comme nous connaissons peu sa carrière il nous a fait part de quelques souvenirs : « Je suis entré en 1942 au Conservatoire, mais le classique c’était trop sérieux pour moi, j’ai préféré faire du music-hall. Pendant la guerre, j’ai connu Eddie Barclay qui pour contourner l’interdiction de danser dans des bals avait ouvert un cours de danse, ce qui était autorisé. J’ai fait mes débuts en allant de concours de chant en concours de chant: amateurs puis semi-professionnels puis professionnels. Je faisais aussi beaucoup de galas gratuits pour les anciens prisonniers de guerre. Un jour j’ai gagné un concours à la radio, j’étais ex-aequo avec Jacqueline François. Ce prix-là m’a donné deux émissions avec l’orchestre de Jo Bouillon qui était à la RTF à l’époque. Et deux mois après je l’accompagnais comme chanteur d’orchestre avec sa femme Josephine Baker dans toute l’Europe, notamment en Suisse et en gala international à Berlin. J’ai aussi été chanteur d’orchestre pour Hubert Rostaing, on a fait des galas à Oran et Alger. J’ai fait énormément de radio : j’avais des émissions régulières comme pendant deux ans « Centrale 21-53 » avec Gisèle Paris et Robert Beauvais tous les dimanches matin en direct du Rex. Je devais chanter ce que les auditeurs demandaient au téléphone pour des anniversaires, des amis, etc. Pierre Spiers dirigeait l’orchestre et je chantais un peu de tout en fonction des demandes, après avoir répété rapidement en studio. J’ai aussi enregistré pas mal de disques pour Guy Lafarge avec qui j’ai débuté vers 47-48, j’ai même eu un prix à Deauville avec une chanson de lui qui s’appelait « Pour moi tout seul ».
J’ai fait un duo avec sa compagne Eliane Thibault (voix de Mary Poppins, ndlr), « Le Sable et la Mer ».Guy Lafarge m’a appris à bien articuler les chansons, il me disait « Une chanson c’est comme une petite pièce de théâtre en trois couplets, et un refrain ». C’était un temps où les chansons voulaient dire quelque chose.

Et puis j’ai été chanteur d’orchestre au Claridge sur les Champs Elysées, et chanteur au Lido. Au Lido c’était une sécurité financière car je travaillais tous les soirs mais ça m’a un peu coupé de la radio et de la télé car j’y ai travaillé cinq ans, je finissais tous les soirs à 2 ou 3 heures du matin, donc c’était impossible d’enchaîner le lendemain matin avec du studio. Quand ça s’est fini j’ai essayé de me remettre dans le circuit mais les places étaient prises. L’acteur André Pousse qui était également impresario m’a envoyé au Liban pour faire sept mois avec la revue du Moulin-Rouge et j’ai enchaîné avec cinq ans au Moulin-Rouge. Ca m’a permis de faire vivre ma famille, mais on ne peut pas chanter ce qu’on veut dans ces boîtes-là, il y a un programme imposé pour les touristes, etc. Et il ne faut pas avoir des problèmes de voix, ça m’est arrivé une seule fois d’être aphone et je m’en souviens encore. Comme je voyais que ma carrière n’allait pas me mener bien loin j’ai accepté la proposition de quelqu’un (que je connaissais du temps où je chantais des publicités à la radio) de me reconvertir : je suis entré dans les laboratoires Vichy, d’abord comme représentant puis comme responsable des étalages. J’ai travaillé jusqu’à soixante-cinq ans alors ça me fait rigoler quand on parle de la retraite à soixante ans. J’ai commencé à travailler en 39, ce n’est pas ma faute s’il y a eu la guerre (rires). »

Guy Severyns : Quelqu'un viendra demain (1957)

Quand on lui parle de doublage : « Je faisais beaucoup de radio, énormément de publicités à Radio Luxembourg avec la secrétaire du directeur qui était la maman de Jean-Loup Dabadie,  car toutes les publicités étaient chantées à l’époque. Mon grand succès était Banania, Aspro aussi, les graines Vilmorin. Mais également pas mal de doublage dans les années 50, car dans beaucoup de films américains qui arrivaient pour être doublés il y avait des chansons et on me demandait. Je travaillais principalement pour Georges Tzipine, chef d’orchestre et responsable de la synchronisation. J’en ai fait une dizaine avec lui, notamment dans les studios de Gennevilliers, mais je ne me souviens plus des titres, à part La Belle au Bois Dormant, dont je n’ai malheureusement conservé aucune copie. Ca se faisait par coup de fil, il fallait pouvoir déchiffrer rapidement la musique, souvent on enregistrait séparément ce qui explique pourquoi je ne me souviens plus très bien de mes partenaires. Je me rappelle avoir doublé un chanteur-comédien-danseur très talentueux, mais il est malheureusement décédé assez jeune, donc tant pis pour moi ! (rires) ».

Un autre élément à signaler pour les chansons est l’importance des chœurs dans la musique du film. En 1959, ils sont interprétés par le Chœur Marguerite Murcier, cette dernière étant (selon Jean Cussac  qui  a fait partie de ce chœur à ses débuts, tout comme d’autres choristes de variétés de formation classique comme Jeanette Baucomont ou Michèle Bertin-Conti) organiste à l’Eglise Saint-Etienne-du-Mont (Paris). Son  ensemble vocal accompagnait dans les années 50 bon nombre de chanteurs comme Edith Piaf ou Luis Mariano, et participait à des musiques de films et des doublages. Il était constitué de chanteurs lyriques issus notamment de l’Opéra-Comique, toute une génération balayée à la fin des années 50 par l’arrivée des choristes « modernes » avec des voix non lyriques inspirées par le jazz vocal. Si les chanteurs du Chœur Murcier ne sont plus engagés dans la variété dans les années 60, certains continueront en revanche à faire quelques chœurs dans des doublages comme Pierre Marret ou Georges Théry (Mary Poppins (1964), etc.), fondateurs du groupe Les Compagnons de la Barrique.

Dans la première version française de La Belle au Bois Dormant, les chœurs sont fidèles à la V.O, mais roulent les « r », comme cela était encore à la mode, et de ce fait, sonnent un peu « vieillots ». Les chœurs de 1981 dirigés par Jean Cussac sont beaucoup plus euphoniques, particulièrement harmonieux, il n’y a qu’à écouter leur splendeur dans la chanson de l’endormissement du château. On y retrouve notamment Danielle Licari, Anne Germain (qui nous a indiqué que, fait exceptionnel car le doublage des chansons se faisait normalement sans répétition, une répétition avait eu lieu dans une salle à Vincennes pour mettre en place les chœurs de La Belle au Bois dormant), Claudie Chauvet, la magnifique et inégalable voix de basse profonde de Jean Stout (voix de Baloo), et bien d’autres chanteurs, parmi lesquels un « renfort » évident de choristes classiques (certainement André Meurant, Michel Richez, etc.).


LES EXTRAITS

Voici maintenant les extraits. La restauration du son, la synchronisation et le montage sont le fait de notre ami Greg Philip (blog Film Perdu).



FICHES RECAPITULATIVES

Doublage français d'origine (sortie française 16 décembre 1959) :

Société : Société Parisienne de Sonorisation (S.P.S.) 1
Studio : ?
Direction artistique : ?
Direction musicale : Georges Tzipine 2
Adaptation des dialogues : Pierre-François Caillé 1
Adaptation des chansons : Henry Lemarchand 1
Enregistrement : ?

Princesse Aurore / Eglantine : Irène Valois 3 (Dialogues)
Princesse Aurore / Eglantine : Huguette Boulangeot 3 (Chant)
Prince Philippe : Guy Severyns 3 (Chant, et certainement dialogues)
Maléfique : Jeanne Dorival 3
Flora : Henriette Marion 3
Pâquerette : Colette Adam 4
Pimprenelle : Jacqueline Ferrière 5
Roi Stéphane : Jacques Berlioz 6
Roi Hubert : Raymond Rognoni  3
Aboyeur de la cour : Maurice Nasil 6
Choristes : Chœur Marguerite Murcier 1


Second doublage français (sortie française 25 mars 1981) :

Société : Société Parisienne de Sonorisation (S.P.S.) 1
Studio : ?
Direction artistique : Jacqueline Porel 1
Direction musicale : Jean Cussac 1
Adaptation dialogues et chansons : Natacha Nahon 1
Enregistrement : ?

Princesse Aurore / Rose : Janine Forney 1 (Dialogues)
Princesse Aurore / Rose : Danielle Licari 1 (Chant)
Prince Philippe : Guy Chapelier 1 (Dialogues)
Prince Philippe : Olivier Constantin 7(Chant)
Maléfique : Sylvie Moreau 1
Flora : Paule Emanuèle 1
Pâquerette : Marie-Christine Darah 1
Pimprenelle : Jeanine Freson 1
Roi Stéphane : René Bériard 1 (Dialogues)
Roi Stéphane : Henry Tallourd 8(Chant)
Roi Hubert : Roger Carel 1 (Dialogues et chant)
La Reine : Jacqueline Porel 4
Le Narrateur : Hubert Noël 1
Aboyeur de la cour : Marc François 9
Un sbire de Maléfique : Marc François 9
Choristes : Jean Cussac 8, Anne Germain 8, Danielle Licari 8, Claudie Chauvet 8, etc.

Fiches voxographiques de La Belle au Bois Dormant réalisées par François Justamand (La Gazette du Doublage), Rémi C. (Dans l’ombre des studios), Greg P. (Film perdu) et Olikos (Les Grands Classiques). Ces fiches ont été vérifiées par plusieurs spécialistes mais peuvent contenir des erreurs. Pour toute reprise de ces informations, veuillez noter en source ce lien.

Sources : 1Carton Laserdisc/VHS/DVD/CD, 2Hercule / Nouveau forum doublage francophone(d’après CD québécois), 3F. Justamand / La gazette du doublage (d’après archives CNC), 4Gilles Hané / Dans l'ombre des studios(remerciements à Colette Adam), 5Bastoune / Dans l'ombre des studios,
6Jean-Pierre Nord / Dans l'ombre des studios, 7FX/ La gazette du doublage , 8Rémi / Dans l'ombre des studios  (remerciements à Gilles Hané, Anne Germain, Jean Cussac et Claudie Chauvet),9Darkcook / Nouveau forum doublage francophone(confirmé par David Gential)


BONUS


Reprise de "C'était vous mon rêve" par Mathé Altéry

LE FESTIVAL

Article publié dans le cadre du mini-festival internet « Les anciens doublages Disney », un événement proposé par Greg P./Film Perdu (restauration sonore et montage, archives presse), Rémi C./Dans l’ombre des studios (co-écriture des articles, coordination de l’événement, des archives et des identifications de voix), FJ /La Gazette du Doublage (archives) et Olikos/Les Grands Classiques.

Avec le soutien précieux de Jean-Pierre Nord et Bastoune (identification des voix), Sébastien Roffat (histoire de l’animation), Gilles Hané et Christian (collectionneurs).

Découvrez les autres articles du festival : lundi 2 juin Pinocchiosur Film Perdu, mardi 3 juin Bambi sur Les Grands Classiques, mercredi 4 juin Alice au Pays des Merveilles sur La Gazette du Doublage et jeudi 5 juin La Belle au Bois Dormant sur Dans l’ombre des studios.

Vous êtes collectionneur et possédez des bobines contenant l’intégralité ou des extraits d’anciens doublages Disney ? Prière de nous contacter à danslombredesstudios@gmail.com


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Décès d'Yves Barsacq

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Nous venons d'apprendre par des journaux régionaux italiens (La Stampa Savona, etc.) qu'Yves Barsacq nous a quittés dimanche 4 octobre. L'acteur vivait une grande partie de l'année à Albenga, sur le littoral de la Riviera ligure.

Il était né en 1931 dans un environnement artistique, fils de Léon Barsacq (grand décorateur pour le cinéma et le théâtre, nommé aux Oscars pour Le Jour le plus long) et neveu d'André Barsacq (illustre metteur en scène, scénographe et directeur de théâtre). Yves suit des cours à l'Institut Lumière et à l'Idhec, et fait ses débuts comme assistant prise de vue au cinéma, puis cameraman à la télévision. En parallèle, il prend des cours de théâtre et devient comédien. Il est ce qu'on peut appeler un "troisième couteau" et joue des petits rôles dans au moins une centaine de films, alternant souvent flics et gangsters (de la série des Gendarmes avec Louis de Funès, à PlayTime de Jacques Tati). Des personnages peu bavards et parfois un peu niais, contrastant avec l'homme érudit et drôle qu'il était dans la vie.

En doublage, on lui confie plus volontiers des rôles d'autorité, vifs et volubiles, à l'articulation parfaite: l'extraordinaire Alan Arkin (le producteur Siegel, que Barsacq aurait très bien pu jouer lui-même tant l'association entre les deux acteurs est naturelle) dans Argo, Pat Hingle (Commissaire Gordon) dans  Batman de Tim Burton, Jack Weston (Kellerman) dans Dirty Dancing, Colin Blakely (Sir Horace Blatt, milliardaire "enfumé" par la belle Diana Rigg) dans Meurtre au soleil, Walter Gotell (Général Gogol) dans L'espion qui m'aimait et Moonraker, et occasionnellement Gene Hackman, Donald Pleasence, etc. 
En dessins animés, on lui doit Dupont ("avec un T") et de nombreux personnages secondaires dans la série d'animation Tintin des années 90, mais encore le "Pépé" de Cédric. (Montage d'extraits de ses doublages par "Le Monde du Doublage Français" ici)

Yves Barsacq (qui en tant que spectateur ne regardait jamais de films doublés) s'amusait des petits rôles qu'on lui confiait. Un jour, sur un plateau doublage, il raconte devant des camarades de micro hilares (dont Frédéric Pieretti, à qui je dois cette anecdote): "Pendant mes vacances à Hollywood, je suis allé voir Old Chinese, Bartender, Cop 1 et Cop 2 et je leur ai dit : "En Français, c'est moi qui vous double !"". Une interview qu'il a donnée il y a quelques mois pour FilmoTV nous offre un aperçu de l'humour, l'intelligence et la vie passionnante du comédien (à voir ici; la vidéo ne semble pas s'ouvrir sur tous les navigateurs. Préférer Firefox).
Ne pas avoir eu l'occasion ou le temps de le rencontrer et partager ses souvenirs est et restera certainement l'un de mes grands regrets.



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Décès de Charles Level

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Je viens d'apprendre avec tristesse par un ami musicien le décès de Charles Level le 23 octobre à l'âge de 81 ans.

Malgré une relative médiatisation à l'époque "yéyé" puis plus tard dans les années 80, les informations publiques sur la vie et le parcours de Charles Level (né Leveel) sont quasi-inexistantes. On sait qu'il est né à Cherbourg et qu'il passe (apparemment à partir de la rentrée 1960) dans le Petit Conservatoire de Mireille, mais il paraît plus âgé que ses camarades et avoir déjà une expérience de la scène. 

Daniel Beretta (comédien, chanteur, voix française d'Arnold Schwarzenegger) me le confirme: "Il est arrivé un peu avant moi au Petit Conservatoire, c'était un très bon imitateur et il écrivait beaucoup de parodies. Mireille aimait qu'on fasse des parodies de Mozart, Tchaïkovsky, etc. donc avec Pascal Sevran et Claude Lemesle ils en ont écrit beaucoup. Avec Charles on a souvent chanté en duo ou trio. Une anecdote assez drôle: lorsqu'on faisait une émission de télévision, très souvent il y avait sa photo à la place de la mienne, et la mienne à la place de la sienne. On devait se ressembler tous les deux. Il a écrit des chansons pour beaucoup de chanteurs de l'époque et c'était un mec très gentil et plein de talent. Il avait au moins dix ans de plus que nous donc c'était un peu le "patron" après Mireille. On s'est par la suite recroisé plusieurs fois aux fêtes de Mireille qui l'aimait beaucoup".



Belle gueule, semblant assez fier de lui, il charme l'auditoire avec une voix de crooner et des textes intéressants, mais déjà, dans cet extrait où il chante une version française de "Georgia on my mind", Mireille pointe un défaut: trop de dons, et du coup une dispersion qui par la suite desservira certainement sa carrière (on peut mettre en parallèle ce problème avec celui de José Bartel).

Sous le nom de "Charlie Level et les Carnaval's" il enregistre de nombreux disques de reprises dans les années 60. Il fait également du cabaret en tant que chansonnier. A partir de 1968, il écrit plus de deux mille chansons pour Dalida, Sacha Distel, Sylvie Vartan, Michel Delpech, Annie Cordy, les Compagnons de la Chanson, Mireille Mathieu, les Costa, Thierry Le Luron... Il écrit également des chansons pour la télévision (Chapi Chapo, musique François de Roubaix), le théâtre (Le voyage de Monsieur Perrichon, La Célestine, Madame Sans-gêne) et le music-hall (Casino de Paris, Folies-Bergère, Paradis Latin). 
Son ami Jacques Martin l'intègre au début des années 80 dans plusieurs émissions: à la radio dans Les Grosses Têtes de Philippe Bouvard, où Level, avec sa guitare, improvise des chansons et fait des imitations. Et à la télévision dans Thé dansant où il reprend des anciens succès de la chanson française, accompagné par l'orchestre de Bob Quibel.
"Au pays de Candy" chanté par Dominique Poulain (paroles Charles Level)

Dans les années 80, Charles Level s'impose également comme un adaptateur de chansons pour des comédies musicales (Barnum au Cirque d'hiver), des doublages (La Belle et le Clochard, Basil détective privé, Oliver et Compagnie, Winnie l'ourson, etc.) et surtout, pour des dizaines de génériques qui deviendront "cultes": Les aventures de Candy, Rémi sans famille, La Bande à Picsou et la plupart des génériques de la Cinq (Olive et Tom, Le Petit Lord, Embrasse-moi Lucile, Sous le signe des mousquetaires, etc.). Il est possible d'après mon ami Jean Cussac (choriste, et directeur musical de doublage dans les années 80) qu'il ait également fait du doublage en tant que chanteur.


"Le Petit Lord" chanté par Claude Lombard (paroles Charles Level)

Claude Lombard, interprète soliste de la plupart des génériques de dessins animés de la Cinq, se souvient de sa collaboration avec Charles Level: "Je l'ai connu au moment des génériques de la Cinq. Nous recevions les playbacks orchestraux, la version italienne, un synopsis du dessin animé et les textes en italien quelques jours avant. Charles adaptait en français six ou sept chansons en deux jours, ou même parfois en une journée. C'était un homme charmant qui avait beaucoup de talent, connaissait son métier, écrivait vite et bien. Je tiens à le préciser car je lis parfois des critiques sur internet de personnes qui disent "Tu te rends compte, ils ont écrit ou enregistré ça en une journée, c'est du travail bâclé" car c'est faux. Les gens qui travaillent vite, comme Charles Level, ou comme Olivier Constantin ou Michel Barouille qui déchiffrent une partition en cinq minutes et enregistrent en une seule prise, travaillent vite car ils ont tout simplement du talent. Ce ne sont pas des gens laborieux, qui mettent deux ou trois jours pour apprendre une chanson et la chanter à moitié bien. Pour en revenir à Charles Level, il m'envoyait ses textes par fax en me disant de revenir vers lui si quelque chose ne fonctionnait pas et je l'appelais quand il y avait un problème sur une phrase, mais ça se passait très simplement, sans prise de tête. Il était venu aux premiers enregistrements pour voir comment ça se passait. C'était un gros nounours, un peu bourru, avec son cigare. Ca se faisait très vite, on enregistrait six ou sept titres en une journée avec le producteur italien dans un studio rue de l'abbé Grégoire."

On m'avait donné les coordonnées de Charles Level mais je n'avais jamais eu ou pris le temps de le contacter, impuissant devant la course folle du temps et le "grand départ" de nombreux artistes de l'ombre qui n'ont jamais eu l'occasion de se confier sur leur carrière dans une interview. Je le regrette car il devait être un artiste passionnant. 

Ses obsèques auront lieu mercredi à 15h15 au cimetière de Bagneux.

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Les "voix de l'ombre" des films de Jacques Demy

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Ils s’appellent Anne Germain, Georges Blanès, José Bartel, Claudine Meunier, Jean Cussac ou bien encore Alice Herald. Leur discrétion n’a d’égal que leur talent et l’importance qu’ils ont eue dans l’œuvre commune de Jacques Demy et Michel Legrand.
Choristes anonymes rompus à un déchiffrage rapide et efficace de tous les styles de musiques au moment de l’âge d’or des studios d’enregistrement, ils ont prêté leur voix à Catherine Deneuve, Michel Piccoli, etc. dans des films entièrement (Les Parapluies de Cherbourg) ou partiellement (Les Demoiselles de Rochefort, Peau d’âne) chantés, créant une illusion souvent parfaite.

Oubliés pour certains dans les génériques des films et les crédits des pochettes des disques (sur lesquels ils n’ont par ailleurs touché aucun droit), souvent exclus des événements médiatiques (comme la remise de la Palme d’or des Parapluies de Cherbourg au Festival de Cannes), ils méritent bien un éclairage particulier. J’ai le plaisir après de nombreuses interviews, séances d’écoutes collectives, etc. de vous offrir ce dossier qui leur est spécialement consacré, et de corriger quelques erreurs ou oublis de génériques, parfois vieux de cinquante ans.

Pour chacun de ces chanteurs, j’accompagnerai leur petite biographie d’un montage vidéo contenant un extrait  d’un solo à l’image, des extraits de leurs voix dans des films de Jacques Demy et le cas échéant dans des doublages de films.

Remerciements particuliers à Anne Germain (« mémoire » de ce métier) et à tous mes autres amis Swingle Singers (José Germain, Jean Cussac, Jean-Claude Briodin, Claudine Meunier, Alice Herald, Hélène Pedersen-Devos, Jeanette Baucomont, Nicole Darde, Claude Chauvet),  Michel Barouille, Norma Bartel, Georges Blanès, Anne-Sophie B., Michel Cassez, Jackye Castan, Yves Chamberland, Bruno Conti, Raoul Curet, Gilles Hané, Serge L., Danielle Licari, Claudine Pavaux, Jean Stout (+).



LES PARAPLUIES DE CHERBOURG (1964)

Lorsque Jacques Demy et Michel Legrand, après de nombreuses séances de travail, se mettent d’accord sur la réalisation d’un film entièrement chanté qui va s’appeler Les Parapluies de Cherbourg, ils admettent rapidement que trouver des acteurs à la fois excellents à l'image et pouvant parfaitement chanter la musique de Legrand est impossible.
Il leur faut des chanteurs capables de « tenir » le film du début à la fin. Une fois la musique enregistrée par les chanteurs, les acteurs n’auront plus qu’à faire du « playback » au moment du tournage. (Les voix étant enregistrées avant le tournage, il est donc inapproprié de parler de "doublage").

Depuis la fin des années 50, les maisons de disques vivent un grand « boom ». Les studios d’enregistrement parisiens tournent à plein régime : chansons, musiques de films, groupes vocaux, orchestres de variétés (Moutet, Caravelli, Mauriat, etc). Pour que les séances d’enregistrement puissent s’enchaîner rapidement (trois heures pour enregistrer quatre titres), il faut des musiciens et choristes sachant parfaitement lire la musique. Michel Legrand connaît bien ces groupes de choristes "lecteurs" puisque sa sœur Christiane en fait partie et qu’il a travaillé avec eux (en tant que compositeur ou simple arrangeur) dans de très nombreux projets. Jacques Demy et lui leur font passer des auditions, souvent sur plusieurs rôles.
Une fois les chanteurs choisis, l’orchestre est enregistré au studio Europa-Sonor (rue Charcot), puis les voix au Poste Parisien (avenue des Champs Elysées). Des photos prises par Agnès Varda à l’époque montrent plusieurs chanteuses (Danielle Licari, Christiane Legrand et Claudine Meunier) au milieu de l’orchestre mais il se pourrait qu’elles aient été là uniquement pour s’imprégner de la musique et répéter le texte.

Pour le rôle principal de Geneviève (Catherine Deneuve), Michel Legrand choisit Danielle Licari (née en 1936). Issue de la Maîtrise de la RTF (qui forme depuis 1947 des enfants au métier de chanteur), Danielle a monté plusieurs petits groupes vocaux (Les Quatre de Cœur, Les Baladins de Paris) et débuté comme choriste, notamment pour Sacha Distel.
Tous les acteurs du film étant invités à assister à l’enregistrement des voix des Parapluies (y compris une pensionnaire de la Comédie-Française pressentie pour le rôle de Madeleine, et qui sera par la suite remplacée par Ellen Farner pour des raisons de coproduction), Danielle Licari rencontre Catherine Deneuve. A ce propos, Michel Legrand raconte dans ses mémoires (Rien n'est grave dans les aigus, éd. Cherche-Midi) : « Je ressens un certain trouble à avoir devant moi les deux Geneviève. Ses deux composantes chimiques. Cinquante pour cent de Danielle et cinquante pour cent de Catherine vont fusionner pour former cent pour cent d’une nouvelle entité, un personnage de synthèse qui échappe complètement à l’une comme à l’autre. »
Danielle est de son côté invitée à assister au tournage, dont elle garde encore un souvenir extraordinaire, notamment pour les décors.
Bien qu’un peu « occultée » au moment de la sortie du film, elle gagnera une première reconnaissance publique grâce aux Parapluies de Cherbourg, avant de connaître quelques années plus tard une célébrité mondiale et une carrière de soliste grâce au Concerto pour une voix de Saint-Preux, tout en continuant « dans l’ombre des studios » d’être, avec sa magnifique voix de soprano, soliste d’accompagnement (« Le ciel, le soleil et la mer » de François Deguelt, « Chez Laurette » de Michel Delpech, etc.) ou simple choriste (dans des milliers de chansons), chanteuse de doublage (Aurore dans le redoublage de La Belle au Bois dormant) et de génériques de dessins animés (Heidi). (Vous pouvez vous procurer la compilation de Danielle Licari réalisée par Marianne Mélodie en partenariat avec Dans l'ombre des studios).
Pendant l'été 2014, je mets en contact ma jeune amie Marie Oppert (qui répète alors le rôle de Geneviève dans la distribution des Parapluies de Cherbourg au Théâtre du Châtelet) avec Danielle Licari et propose à Danielle de participer quelques temps plus tard par téléphone à l'émission spéciale présentée par Laurent Valière pour la retransmission des Parapluies de Cherbourg. Une intervention passionnante...




N. Castelnuovo, J. Bartel et J. Demy
Pour lui donner la réplique (Guy, joué par Nino Castelnuovo), Michel Legrand et Jacques Demy se tournent vers José Bartel (1932-2010). José côtoie le monde des choristes de studio sans vraiment en être un : chanteur soliste pour des orchestres (Aimé Barelli), des groupes vocaux (Les Masques) ou des doublages (Le Roi Louie dans Le Livre de la Jungle), chef d’orchestre de musique « typique », compositeur (pour Serge Reggiani), arrangeur, percussionniste, comédien, directeur artistique de labels, José Bartel est un touche-à-tout surdoué. Son interprétation de Guy (rôle qu’il enregistre la jambe plâtrée suite à un accident de voiture) est bouleversante. (Lire mon hommage à José Bartel).



Georges Blanès
Georges Blanès (né en 1928) prête sa belle et chaude voix de baryton à Marc Michel (Roland Cassard) pendant tout le film. Après des débuts dans son Algérie natale, il travaille à Paris comme chanteur d’orchestre et meneur de revues. Il enregistre plusieurs disques en soliste, démarre une carrière d’acteur au cinéma (notamment pour Philippe Clair), au théâtre et dans des opérettes. En complément, il travaille beaucoup pour la publicité, le doublage et les musiques de films.  Michel Fugain lui propose de devenir directeur artistique de son « Big Bazar » et Georges Blanès compose avec le chanteur plusieurs de ses tubes (« Le Printemps », ou « Comme un soleil » repris aux Etats-Unis par Dean Martin, sa fierté).




Dernier élément de ce quatuor amoureux, Madeleine(Ellen Farner) à qui Claudine Meunier(née en 1926) prête sa voix d’alto, douce et élégante, certainement l’une des plus belles de ce métier. Passionnée de jazz, Claudine a fait partie de trois groupes majeurs du jazz vocal français et international : « The Blue Stars of France », « Les Double Six» (sous son nom de jeune fille, Claudine Barge) et « The Swingle Singers ». Dans ces trois groupes on peut l’entendre chanter plusieurs soli. Claudine a également prêté sa voix chantée à Mme Jumbo dans le redoublage de Dumbo(1979) et été choriste d’Andy Williams, Dionne Warwick, Claude François, Gilbert Bécaud (elle est la voix accusatrice de « L’orange »), etc. (Lire mon portrait de Claudine Meunier). 
En septembre 2014, sur mon initiative et avec l'accord enthousiaste de Laurent Valière (France Musique) elle participe comme invitée surprise à l'émission 42ème Rue consacrée aux Parapluies de Cherbourg.




C. Legrand devant la vitrine d'un disquaire
allemand aux couleurs des "Swingle Singers"
Hors de ce quatuor amoureux, mais rôle central du film, Madame Emery (Anne Vernon) a  la voix de Christiane Legrand (1930-2011).
C’est certainement le rôle qui a été le plus difficile à distribuer, à la fois autoritaire, raffiné et protecteur. Sur une suggestion d’Agnès Varda, Demy et Legrand choisissent la sœur du compositeur, bien qu’elle soit plus jeune que le rôle.
Christiane est un personnage incontournable dans l’œuvre de son frère, avec qui elle a de nombreuses fois chanté en duo, et un élément central du monde des studios des années 60, comme soliste, choriste (pour Francis Lemarque, Jean Constantin, Procol Harum, etc.) et chef de chœurs. Une voix douce et « sucrée » idéale pour la variété et les chansons pour enfants, et une technique jazz irréprochable qui ont fait d’elle une légende du jazz vocal, notamment comme soliste principale des Swingle Singers et membre des Double Six.




Elise (Mireille Perrey), la vieille tante de Guy dans le film, a la voix de Claire Leclerc (1915-2009). On dit d’Eliane Thibault (Mary Poppins) qu’elle a « un sourire dans la voix », Claire Leclerc en a quant à elle des « sanglots ». Son timbre n’est pas sans rappeler celui de l’américaine Dinah Shore. La chanteuse a un parcours en dents de scie qui représente bien les difficultés de ce métier. Débuts dans des cabarets rive gauche où elle est la première à chanter du Léo Ferré, puis un grave accident la laisse éloignée de la scène. Elle devient alors une artiste de studio, participant à des doublages (voix chantée de Marylin Monroe dans Les hommes préfèrent les blondes, de Lady dans La Belle et le Clochard) ou à de la post-synchronisation (voix chantée de Caterina Valente dans Casino de Paris). C’est son amie Vline Buggy (grande parolière des années yéyé) qui demande à son mari chef d’orchestre Christian Chevalier de l’engager comme choriste dans son groupe « Les Angels » (pour Richard Anthony, Annie Cordy, etc.). Fin des années 60, elle quitte le métier et enchaîne les petits boulots jusqu’à sa retraite. (Hommage à Claire Leclerc par François Justamand sur La Gazette du Doublage)




Les non-crédités

Son nom n’a jamais été mentionné dans le générique ni dans les pochettes de disques successives de la musique du film, et pourtant il a une jolie partie soliste dans le film et sa voix de baryton est reconnaissable entre mille : Jean Cussac  (né en 1922) prête sa voix à Monsieur Dubourg, le joaillier. C’est lui-même qui m’en avait parlé lorsque je l’avais interviewé pour la première fois en 2006 (lire mon article pour La Gazette du Doublage). Jean participe comme tous ses camarades à de nombreux chœurs (pour Edith Piaf, Luis Mariano, Guy Béart), mais aussi à des doublages (voix chantée de Roger dans Les 101 Dalmatiens(1961), du Prince dans Blanche-Neige et les sept nains (redoublage de 1962), du narrateur-chanteur dans Merlin l’Enchanteur (1963)). De formation classique, il participe à de nombreux concerts lyriques, des opérettes, et devient même « maître de chapelle » de l’Eglise Saint-Louis des Invalides (Paris). Dans les années 80, dernière décennie d’activité avant sa retraite, il est directeur musical des doublages Disney (Basil détective privé, Rox et Rouky, redoublages de Dumbo, La Belle au Bois dormant, etc.).



L’identité du chanteur prêtant sa voix à Aubin (Jean Champion) le patron du garage est restée inconnue pendant cinquante ans. Elle paraissait être celle d’un comédien plutôt que d’un choriste « traditionnel ». C’est en découvrant par hasard que le comédien Raoul Curet (né en 1920, voix française de Glenn Ford) avait été chanteur et avait même fait partie du quatuor vocal Les Quat’ Jeudis (« cousins » des Frères Jacques, qui ont fait carrière aux Etats-Unis en accompagnant Carol Channing dans Show Girl), que j’ai fait le rapprochement entre sa voix et celle d’Aubin. L’interviewant en août dernier dans le sud de la France où il est retiré, je lui demande « Avez-vous participé aux Parapluies de Cherbourg ? ». A cette question, le regard de l’acteur de 95 ans s’illumine et il me dit mot pour mot cette réplique d’Aubin qu’il n’avait certainement pas prononcée depuis 1963 « Ah le petit con depuis qu’il a quitté l’armée il se conduit comme le dernier des voyous ». Il fait également la voix d’un déménageurjoué par Paul Pavel (« Alors pousse ta viande, tu vois bien qu’tu gênes ! »).



Michel Legrand (né en 1932), à la manière d’Hitchcock, s’attribue toujours quelques répliques dans ses musiques de films. Dans Les Parapluies de Cherbourg, il prête sa voix au facteurqui apporte le courrier à Madame Emery (acteur non-identifié) ainsi qu’à l’un des mécaniciens, Bernard (Pierre Caden), et non Jean comme indiqué par erreur dans la pochette CD du coffret Demy-Legrand.



La voix de Jean (joué par Jean-Pierre Dorat, comédien qui deviendra par la suite un grand directeur artistique de doublage), mécanicien qui préfère le cinéma à l’opéra, est celle du choriste Jean-Claude Briodin, que l’on peut entendre avec ce timbre à la fois chaud et doux en soliste dans plusieurs titres des « Double Six » et des « Troubadours » (les « Peter, Paul and Mary » français).




Né en 1930, José Germain (voix de basse des Swingle Singers, choriste et saxophoniste) prête sa voix très reconnaissable (Scat Cat dans Les Aristochats) au patron du café (joué par Roger Perrinoz), avec cette réplique chantée assez surréaliste « Vous n’avez pas d’monnaie, vous êtes tous les mêmes avec vos gros billets ». José, qui avait conservé la fiche de paie de l’enregistrement, pensait n’avoir fait que de chœurs pour ce film, et ne se souvenait plus du tout de ce rôle.



Peu de temps après dans le film apparaît le personnage de Ginny (Jane Carat), la prostituée qui passe la nuit avec Guy. C’est grâce à Anne Germain que j’ai pu identifier la voix de la soprano Jeanette Baucomont (qui me l’a par la suite confirmé), choriste elle aussi, qui faisait partie avec Jean Cussac des deux piliers « lyriques » des Swingle Singers.



Dans la pochette du coffret CD Demy-Legrand, le nom  de Jacques Demy est attribué aux voix du « client égaré » et du serveur. Je ne peux le confirmer d’oreille. Il est possible qu’il ait également fait la voix d’autres rôles (comme le pompiste aux répliques improbables).


LES PARAPLUIES DE CHERBOURG (1964)
Musique : Michel Legrand / Paroles : Jacques Demy
Enregistrement des voix au Poste Parisien en 1963
Ingénieur du son : Louis Perrin

Catherine Deneuve... Geneviève Emery… Danielle LICARI
Nino Castelnuovo... Guy Foucher… José BARTEL
Anne Vernon... Madame Emery… Christiane LEGRAND
Marc Michel... Roland Cassard… Georges BLANES
Ellen Farner... Madeleine… Claudine MEUNIER
Mireille Perrey... Tante Élise… Claire LECLERC
Jean Champion... Aubin… Raoul CURET*            
Pierre Caden... Bernard… Michel LEGRAND*
Jean-Pierre Dorat... Jean… Jean-Claude BRIODIN*
Harald Wolff...  Monsieur Dubourg… Jean CUSSAC*
Jane Carat... Ginny… Jeanette BAUCOMONT*
Patrick Bricard... Serveur… Jacques DEMY**
Roger Perrinoz... Patron du café… José GERMAIN*
Paul Pavel... Deuxième déménageur (« Alors pousse ta viande, etc. »)… Raoul CURET*
Le facteur… Michel LEGRAND*
Le client égaré… Jacques DEMY**

Bernard Garnier… Mécanicien en 1959 (« Ben qu’est-ce qu’y t’prend ? »)… Michel LEGRAND ?*
Gisèle Grandpré… Madame Germaine (tenancière de la boîte à matelots)… Claude PARENT ?*

Philippe Dumat... Client du garage en 1957… ?
Jean-Pierre Chizat... Pierre le mécanicien 1957… ?
Michel Benoist... Acheteur de parapluies… ?
François Charet… Mécanicien en 1959 (« Le patron te d’mande ! »)… ?
Jacques Camelinat... Client du garage en 1959… ?
Premier déménageur (« Qu’est-ce que tu cherches ? »)… ?
Dorothée Blanck... Entraîneuse au café (« Tu viens danser ?»)… ?
Bernard Fradet... Pompiste… ?

Sources : Générique et pochettes de disques
* : Compléments Rémi C. / Dans l’ombre des studios (remerciements à Anne Germain, Jean Cussac, Raoul Curet, José Germain, Jeanette Baucomont, Jean-Claude Briodin, Danielle Licari, Claudine Meunier)
** : Complément Stéphane Lerouge (coffret CD Demy-Legrand)




LES DEMOISELLES DE ROCHEFORT (1967)

Contrairement aux Parapluies de Cherbourg, film entièrement chanté, Les Demoiselles de Rochefort alterne scènes de chant (avec les voix des choristes habituels enregistrées avant le tournage) et scènes de comédie (avec les vraies voix des acteurs à l’écran, sauf certains étrangers).


Michel Legrand et Jacques Demy en séance de composition 
pour Les Demoiselles de Rochefort (avril 1966)

Anne Germain
Voyant que la voix de soprano de Danielle Licari ne raccorderait pas idéalement avec la voix parlée de Catherine Deneuve (Delphine), Jacques Demy et Michel Legrand auditionnent plusieurs choristes et c’est finalement Anne Germain (qui avait quelques mois plus tôt enregistré avec Nicole Darde  les « maquettes » de la musique) qui est choisie, créant l’illusion. Anne est l’une des choristes les plus talentueuses et prolifiques de sa génération. Elle a enregistré en soliste plusieurs génériques (dont le mythique L’île aux enfants) et doublages chantés (Duchesse dans Les Aristochats, Rita Hayworth dans La Blonde ou la Rousse, Ann Reinking dans Annie, etc.). Dans Les Demoiselles de Rochefort, on peut également l'entendre faire un scat avec Louis Aldebert dans la séquence d'ouverture (scat un peu "noyé" dans le mixage du film, mais parfaitement audible dans la B.O.). Pour en savoir plus sur la carrière d'Anne Germain, vous pouvez lire le long et passionnant entretienqu’elle m’a consacré.




La « sœur jumelle » de Delphine, Solange(Françoise Dorléac), a quant à elle la voix chantée de Claude Parent, artiste que connaissait Marcelle Legrand (mère de Michel, éditrice musicale) mais dont nous n’avons que peu d’informations. Elle a enregistré plusieurs disques en soliste et ne faisait  pas partie du circuit des choristes habituels. Là encore on peut affirmer que son timbre et sa voix grave s’accordent parfaitement avec la voix parlée de Françoise Dorléac. Il est possible, sans certitude, qu’elle ait également participé aux Parapluies de Cherbourg sur une très courte réplique (« Bonsoir Ginny » par Madame Germaine, tenancière de la « boîte à matelots »).
D’après le site « Que sont-ils devenus ? » Claude Parent serait décédée en 2007 à l’âge de 75 ans.



J. Perrin et R. Berry entourent leur "voix"
J.Revaux à la Cinémathèque
sous le regard de Costa-Gavras
(Inauguration de l'exposition Demy)
Maxence (Jacques Perrin), jeune marin qui cherche son « idéal féminin » a la voix de Jacques Revaux (né en 1940), qui a fait ses débuts comme chanteur  avant de devenir un très grand compositeur, à qui l’on doit des dizaines de « tubes » pour Claude François (« Comme d’habitude », devenu plus tard en franchissant l’Atlantique « My way » avec la voix de Frank Sinatra), Michel Sardou (« Les Lacs du Connemara », « La maladie d’amour », « Le France ») ou Johnny Hallyday (« J’ai oublié de vivre »). A l’époque, tout comme Georges Blanès et Anne Germain, Jacques Revaux enregistre des disques de « covers », publicités, etc. Dans son autobiographie, Ma vie en chansons (éd. Ramsay), il raconte à propos des Demoiselles de Rochefort : « Au studio Davout à Paris, les séquences longues de plusieurs minutes furent, de bout en bout, enregistrées en direct. Plusieurs faux départs de ma part avaient obligé tous les chanteurs à recommencer depuis le début, encore et encore. Ce fut un soulagement pour tout le monde quand la décision avait été prise de me faire enregistrer seul : je n’étais pas synchro ! C’est fou, je n’arrivais pas à me caler avec les autres. L’exercice s’était avéré bien plus difficile que je ne l’avais imaginé. »
Plus tard, Jacques Revaux prêtera sa voix à Richard Berry dans Une chambre en ville (1982).


Gene Kelly (Andy) a déjà chanté en français, notamment dans Un Américain à Paris. Pourtant, dans sa biographie, Mag Bodard, la productrice du film, explique que les financiers étaient très frileux à l’idée de lui faire enregistrer ses chansons en français. C’est donc le canadien anglophone Don Burke qui a enregistré le rôle. A l’époque, Don est membre du groupe vocal folk Les Troubadours aux côtés de Jean-Claude Briodin, Pierre Urban et Franca di Rienzo. On peut entendre la voix de Don comme soliste dans le vinyle de Lucky Luke - Daisy Town (musique de Claude Bolling) pour la chanson du quadrille (par Gérard Rinaldi dans le film, et Philippe Clay en CD).



On remarquera (merci Alice Herald) qu’à la fin de la chanson d’Andy, Michel Legrand prend le relais des scats. Le compositeur ne s’est pas attribué de rôle parlé dans le film mais on peut l’entendre « scatter » ici et à deux autres moments (« Marins, amis, amants ou maris », « Kermesse »).

Danielle Darrieux (Yvonne) est la seule comédienne du film à chanter son rôle. Elle fera de même dans Une chambre en ville(film de Jacques Demy, musique de Michel Colombier).

M. Piccoli et G. Kelly devant 
un vinyle des Swingle Singers
Son ancien amant, Simon Dame (Michel Piccoli), a la voix de Georges Blanès (Cassard dans Les Parapluies de Cherbourg), qui le suivra également dans Une chambre en ville. On notera que dans la boutique de Simon figure sur un présentoir le disque « Mozart » des Swingle Singers (dont plusieurs des membres ont participé aux voix des Demoiselles de Rochefort), qui apparaît et disparaît selon les plans (simple clin d’œil ? Problèmes de raccords ?).

Jean Stout (1933-2012) prête sa voix à Guillaume Lancien (Jacques Riberolles). Au début, d’après les souvenirs de Michel Legrand, le chanteur avait été contacté pour faire la voix de Simon Dame mais cela ne collait pas. Jean Stout m’avait raconté de son côté avoir été contacté à la base pour faire seulement partie des chœurs (on entend d’ailleurs sa voix de basse profonde dans les chœurs de « La Chanson de Maxence », les scats de « Marins, amis, amants ou maris »).
Jean Stout c’est la voix chantée de Baloo dans Le Livre de la Jungle, de Tony dans La Belle et le Clochard (redoublage de 1989), le personnage de Henri Golo dans les spectacles et disques de Dorothée. Une voix de basse omniprésente dans le paysage musical des années 60/70/80 (lire mon interview de Jean Stout). Curieusement, j’ai remarqué en analysant les voix du film que dans la chanson « De Hambourg à Rochefort » Jean Stout est remplacé par José Bartel sur le petite réplique de Lancien.



Joués par des acteurs et danseurs américains, les forains et leurs copines sont doublés à la fois pour les dialogues et les chansons. Ainsi, George Chakiris (Etienne) a la voix parlée de Jacques Thébault (célèbre voix de Steve McQueen… et de Chakiris dans la VF de West Side Story) et la voix chantée de Romuald Figuier dit Romuald. Ce dernier fait ses débuts comme choriste (notamment pour le chanteur John William) avant de commencer une carrière de chanteur soliste (il représente Monaco trois fois à l’Eurovision) et compositeur (« Let me try again » repris par Frank Sinatra).



Le personnage de Bill a quant à lui la voix parlée et chantée de José Bartel (voix de Guy dans Les Parapluies de Cherbourg). Des sources présentes sur internet depuis des années indiquent que Dominique Tirmont fait la voix parlée de Bill mais c’est faux. Tirmont (voix parlée et chantée de Von Trapp dans La Mélodie du Bonheur, de Tevye dans Un violon sur le toit) a une voix de basse très reconnaissable. On ne peut pas la confondre avec celle de de José, qui a également fait plusieurs fois du doublage parlé (La Vallée du Bonheur, Un shérif est en prison).
Judith (Pamela Hart) et Esther (Leslie North) ont les voix chantées de Christiane Legrand et Claudine Meunier (respectivement voix de Mme Emery et de Madeleine dans Les Parapluies de Cherbourg). Je n’ai pas pu identifier les voix parlées, même si celle d’Esther fait penser à la comédienne Michèle André.

A. Herald à la Comédie-Française
(Le Bourgeois gentilhomme)
Josette (Geneviève Thénier), la serveuse du café tenu par Yvonne, chante avec la voix de la choriste Alice Hérald. Alice a fait ses débuts avec Claudine Meunier dans les « Hélianes » (trio de choristes de l’orchestre Jacques Hélian) puis fait partie des Swingle Singers et accompagné de nombreux chanteurs (Maxime Le Forestier, Graeme Allwright, Dave, etc.). On l’entend assez rarement en soliste. En dehors des Demoiselles de Rochefort, l’une des occasions de l’entendre aurait été le film Le Ciel et Bleu (dont elle avait enregistré le générique, sur une musique de François de Roubaix), mais celui-ci n’est jamais sorti. Il reste heureusement dans la compilation François de Roubaix – Chansons de filmsune trace de ce joli enregistrement.



Le petit « Boubou » (Patrick Jeantet) a la voix chantée d’Olivier Bonnet, fils de Christiane Legrand et de son premier mari, le chanteur Pierre Laurent (voix chantée supposée de Donald O’Connor dans la VF de Chantons sous la pluie).

Les non-crédités

Ils sont peu nombreux. Dans la scène des « Rencontres » on peut reconnaître la voix de Jean-Claude Briodin (un policier et un badaud) et –grâce aux souvenirs d’Anne Germain- celle du "Double Six" Louis Aldebert (un policier, et scat dans le générique de début).


LES DEMOISELLES DE ROCHEFORT (1967)
Musique : Michel Legrand / Paroles : Jacques Demy
Enregistrement des voix au Studio Davout en mars 1966
Ingénieurs du son : Claude Ermelin, Yves Chamberland et François Dentan

Catherine Deneuve... Delphine Garnier… Anne GERMAIN (Chant)
Françoise Dorléac...  Solange Garnier… Claude PARENT (Chant)
Jacques Perrin... Maxence… Jacques REVAUX (Chant)
Gene Kelly... Andy Miller… Don BURKE (Chant)
Gene Kelly... Andy Miller… Michel LEGRAND (Derniers scats de la « Chanson d’Andy »)*
Danielle Darrieux... Yvonne Garnier… ELLE-MEME
Michel Piccoli... Simon Dame… Georges BLANES (Chant)
Jacques Riberolles... Guillaume Lancien… Jean STOUT (Chant « De Delphine à Lancien »)
Jacques Riberolles... Guillaume Lancien…  José BARTEL (Chant « De Hambourg à Rochefort »)*
George Chakiris... Etienne… Jacques THEBAULT (Dialogues)
George Chakiris... Etienne… Romuald FIGUIER (Chant)
Grover Dale... Bill… José BARTEL (Dialogues et Chant)*
Pamela Hart... Judith… Christiane LEGRAND (Chant)
Leslie North... Esther… Michèle ANDRE ? (Dialogues)*
Leslie North... Esther… Claudine MEUNIER (Chant)
Geneviève Thénier... Josette… Alice HERALD (Chant)
Patrick Jeantet... Boubou Garnier… Olivier BONNET (Chant)
Dorothée Blanck… Passante (« Vous avez de la chance »)… ?
Alain Franchet... 1er policier (« Ne restez pas là, circulez soyez chic »)... Jean-Claude BRIODIN (Chant)*
Bernard Fradet ... 2ème policier (« Nous ne voulons pas vous être antipathiques »)… ?
Remy Brozek... 3ème policier (« Ne nous forcez pas à vous cogner dessus à bras raccourcis »)… Louis ALDEBERT (Chant)*
Pierre Caden... 1er passant (« Y avait du sang jusqu’ici »)… ?
Véronique Duval... Passante (« C’était une petite vieille aux blancs cheveux »)… ?
Jacques Henri Barratier... 2èmepassant (« C’est proprement immonde »)… Jean-Claude BRIODIN (Chant)*
Scat solo « Arrivée des camionneurs »… Anne GERMAIN* et Louis ALDEBERT*
Scat « Marins, amis, amants ou maris »… Michel LEGRAND*, Jean STOUT*, etc.
Scat solo « Kermesse »… Michel LEGRAND

Chœurs : La plupart des solistes, José Germain*, etc.

Sources : Générique et pochettes de disques
* : Compléments Rémi C. / Dans l’ombre des studios (remerciements à Anne Germain, Norma Bartel, Jean-Claude Briodin, David Gential, Jean Stout, Alice Herald, José Germain)



PEAU D’ANE (1970)

Dans Peau d’âne, Catherine Deneuve (Peau d’âne) et Jacques Revaux (Le Prince) retrouvent leurs voix des Demoiselles de Rochefort, à savoir Anne Germainet Jacques Revaux.
Christiane Legrand participe une fois de plus à une musique de son frère en prêtant sa voix à la Fée des Lilas (Delphine Seyrig).
Ce sont les seuls noms de chanteurs crédités au générique.

Les non-crédités

Il y a deux scènes dans lesquelles fourmillent de nombreux petits rôles chantés :

Dans « Les Insultes », Peau d’âne est moquée et insultée par les garçons et filles de ferme.
Les voix masculines sont assez facilement identifiables à l’oreille et j’ai pu les faire confirmer à la plupart des intéressés : on entend successivement Georges Blanès (et se petite pointe d’accent pied noir), voix de Cassard et de Simon Dame dans les précédents films, Jean Cussac (Monsieur Dubourg dans Les Parapluies) et son petit « trémolo » final caractéristique (« renvoi »), Jo Noves (décédé en 2014, ténor des Swingle Singers, au timbre de voix particulier et une petite pointe d’accent toulousain) et Michel Legrand (qui prête ici sa voix à un certain Michel Colucci, futur Coluche !). Pour le dernier, il s’agirait de Jacques Demy (seul nom avec Michel Legrand crédité pour les garçons de ferme dans le coffret Demy-Legrand).



Pour ce qui est des femmes c’est plus compliqué, d’autant que l’ordre des voix n’a pas été respecté au moment du tournage et qu’une fermière peut ainsi se retrouver avec trois voix différentes.
Anne Germain se souvient avoir enregistré la séance avec notamment Hélène Devos et Nicole Dardedes Swingle Singers. Claude Chauvetse souvient de la séance, qui était l’une des premières de sa carrière (à l’époque elle faisait partie d’un groupe de jeunes chanteurs, Les Marlee, produit par… Marcelle Legrand). En faisant plusieurs séances d’écoutes avec des choristes, nous avons pu retrouver quelques attributions, mais sans certitudes.
Il est parfois difficile pour certaines choristes de reconnaître leur propre voix, d’autant, que, comme me l’explique Alice Herald(qui se souvient avec certitude de ses répliques dans le film), les voix étaient assez « uniformisées » dans la façon de composer et de chanter de Michel Legrand.

Dans « Le massage des doigts », le charlatan (Romain Bouteille) vendeur d’élixirs amincissant les doigts a la voix de Michel Cassez, futur « Gaston » des Compagnons de la Chanson, qui était un musicien-chanteur polyvalent, et auteur-compositeur avec Jean-Pierre Calvet de plusieurs chansons, dont le célèbre générique de la série d'animation Tom Sawyer. C’est Anne Germain qui m’a lancé sur cette piste, et « Gaston » me l’a confirmé.  Le valet de ferme a lui la voix de Romuald(Etienne dans Les Demoiselles de Rochefort). On peut notamment entendre chez les femmes Christiane Cour et certainement Janine de Waleyne et Danielle Licari. Le petit garçon pourrait avoir la voix d’Olivier Bonnet (voix du petit Boubou des Demoiselles de Rochefort).





PEAU D’ANE (1970)
Musique : Michel Legrand / Paroles : Jacques Demy

Catherine Deneuve... Peau d'âne... Anne GERMAIN
Jacques Perrin... Le prince charmant... Jacques REVAUX
Delphine Seyrig... La fée des Lilas... Christiane LEGRAND



Scène des "Insultes"

Paysanne 1 (« Quelle calamité »)… Hélène DEVOS*
Paysanne 1, 2ème réplique (« elle doit être malade »)… ?
Paysanne 2 (« On m’a dit que sa peau cache une infirmité »)… ?
Paysanne 3  (« Peut-être la pelade »)… ?
Paysanne 4 (« Regardez cette allure, on ne peut distinguer ses mains de sa figure »)… ?
Paysanne 5 (« Avec ses poils partout, ça me fait grand dégoût »)… Claude CHAUVET*
Paysanne 1, 3ème réplique (« Elle n’aura guère de chance de rencontrer le prince »)… ?
Paysanne 2, 2ème réplique (« Avant de l’embrasser, il faudra qu’il la rince »)… Hélène DEVOS*
Paysanne 3, 2ème réplique (« De la tête au talon, sa peau doit être rance »)… ?
Garçon de ferme 1 (« La vieille m’a dit sur l’heure, il faut que tu me ranges, l’écurie, les communs, les étables et la grange », « Et comment le saurais-je ? », « Comme sa majesté, il aime la propreté »)… Georges BLANES*
Paysanne 6 (« Sais-tu en quel honneur ? », « Le prince cher seigneur viendra nous voir dimanche », etc. « On dit qu’elle est méchante »)… Alice HERALD* et/ou Nicole DARDE*
Garçon de ferme 2 (« Tu devrais te cacher, si le prince te voit, il pourrait se fâcher, exiger ton renvoi », « voir son Prince Culcendron »)… Jean CUSSAC*
Rufus… Garçon de ferme 3 (« Tu n’auras pas le droit, d’assister à la fête, car les soldats du roi croyant voir une bête, pourraient bien te tuer », « Tout le monde fuira voyant ce laideron »)… Jo NOVES*
Coluche... Garçon de ferme 4 (« Comment t’appelles-tu, très noble courtisane ?)... Michel LEGRAND*
Yves PIGNOT... Garçon de ferme 5 (« Je crois que c’est son corps »)... Jacques DEMY**


Scène du "Massage des doigts"

Romain Bouteille... Le charlatan... Michel CASSEZ*
Aristocrate 1 (« J’ai la merveille des merveilles, l’onguent qui fait maigrir les doigts »)… ?
Aristocrate 2 (« Débouchons vite cette bouteille… »)… ?
Paysanne 7 (« Serrez donc, fainéant », « Est-il bête ou fait-il semblant ? »)… ?
Petit garçon (« C’est que j’ai peur de vous faire mal »)… Olivier BONNET ?*
Maud Rayer... Fille de cuisine 1 (« La mère dépêchez-vous  car le prince attend après nous», « C’est le mien qui passera l’anneau d’or », « Le mien est pelé jusqu’à l’os »)... Danielle LICARI ?*
Fille de cuisine 2 (« Miracle mon doigt maigrit encore », « Aïe aïe ma peau s’en va en lambeaux »)… ?
Andrée Tainsy... La mère (« Cette punition n’est point volée, car vous n’êtes que deux écervelées »)... Janine de WALEYNE
Aristocrate 1, 2ème voix ? (« Ah le faquin, le charlatan, avez-vous mon annulaire ? »)… ?
Aristocrate 2, 2ème voix («Je ne sais de quoi il a l’air le mien regardez a grossi d’autant »)… Christiane COUR*
Garçon de ferme 6 (« Ce qu’elles sont bêtes »)… ROMUALD*
Vanina Michel… Paysanne 8 (« Il est jaloux », « aïe aïe aïe ouï ouï, tu vois bien que tu me pinces »)… ?
Marion Loran… Paysanne 9 (« Vous n’êtes qu’un méchant filou »)… ?
Christine Aurel… Paysanne 10/Esther (1ère réplique : « Je l’ai coupé »)… Christiane COUR ?*
Christine Aurel… Paysanne 10/Esther (2ème réplique  « Pourrait-il partir ou se taire »)… ?

Chœurs : La plupart des solistes, José Germain*, Claudine Pavaux*, Michèle Conti*, etc.

Sources : Générique et pochettes de disques
* : Compléments Rémi C. / Dans l’ombre des studios (remerciements à Anne Germain, Georges Blanès, Jean Cussac, Bruno Conti, Claudine Pavaux, Michel Cassez, Claude Chauvet, Hélène Devos, Claudine Meunier)
**: Complément Stéphane Lerouge (coffret CD Demy/Legrand)


ET LES AUTRES COLLABORATIONS JACQUES DEMY / MICHEL LEGRAND ?

Les autres films comportent moins de "mystères vocaux". Voici néanmoins quelques voix que j'ai identifiées pour:

PARKING (1985)

Spectateurs dans « Célébration » : Christiane LEGRAND*, Michel LEGRAND* et Michel BAROUILLE*

TROIS PLACES POUR LE 26 (1988)

Journalistes dans « Interview » : Christian GENEVOIS ?*, Michel LEGRAND* et Michel BAROUILLE*

Source: Rémi C. 



C'EST FINI, VOICI MAINTENANT UNE PAGE DE PUBLICITÉ



Cette publicité de 1972 pour Tupperware (dont on ne commentera pas le sexisme) est visiblement un pastiche des films de Jacques Demy et des musiques de Michel Legrand. La qualité sonore est mauvaise, mais il semble que les deux principales voix féminines soient celles de Danielle Licari ("un métier bien payé") et Claudine Meunier ("sans spéciales études"), accompagnées par José Bartel ("en plein après-midi"). 
Ont-ils été engagés en raison de leur travail pour Demy-Legrand? C'est possible, mais c'est peut-être simplement dû au hasard, car tous les trois (ainsi que Georges Blanès, Anne Germain, etc.) travaillaient beaucoup pour la publicité à l'époque. Une grande partie des publicités radio ou télévisées étaient chantées.


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